Sur la difficulté d’être l’interlocuteur du capitalisme mondialisé: un recueil de textes de Dan Gallin (André Gavillet et al, 2009)

Le syndicalisme international face aux structures concentrées du capitalisme est un contre-pouvoir nécessaire, mais difficile. Dan Gallin s’y est consacré pendant trente ans. Dans un ouvrage édité avec goût et grand soin par le Collège du travail, il présente son combat et ses expériences: Fil rouge. Expériences et écrits sur le syndicalisme international, 2009.

Le combat syndical à l’échelle internationale
Les multinationales jouent, faisant tourner le planisphère, de la diversité des sites; elles localisent et délocalisent. Au siège, l’état-major de direction prend les décisions stratégiques et centralise les bénéfices ou les investit sur place. Le souci d’efficacité voudrait que les syndicats s’organisent symétriquement. D’une part le terrain, celui des conventions collectives négociées; d’autre part, en interlocuteurs de la holding, les questions générales. Mais ce schéma est théorique. Si le capital accepte (non sans réticences, selon les lieux de production) la discussion des conditions de travail, il ne tolère pas que soit contestée sa planification.

Formation
Toute société offre, pour accéder aux postes de responsabilité, une échelle sociale et un cheminement éprouvé. Mais ce parcours correct émousse l’inventivité. D’où l’apport précieux de ceux qui ont eu à connaître et à choisir d’autres cultures. Dan Gallin est de ceux-là. Ce qui justifie quelques repères biographiques.

Les enfants de diplomate sont contraints de subir le nomadisme de la fonction paternelle. Le père de Dan Gallin représentait la Roumanie comme consul général d’abord à Lwow (Pologne), puis à Hambourg, et enfin à Berlin en 1940. Mais pour que son fils n’ait pas à subir une éducation sous influence nazie, il l’inscrivit dans une école française et catholique, quoique sa famille fût de religion orthodoxe et sa mère de culture allemande. En fin de compte, mieux valait fuir l’Allemagne. En 1943, ses parents choisirent Le Rosey, l’internat rollois où furent (sont) formés les enfants de la haute société européenne et orientale. Dan Gallin dit y avoir reçu une éducation «pointue». Puis, rejoignant les filières traditionnelles, il prépara à Lausanne à l’Ecole Lémania une maturité fédérale. Attiré, hors programme, par le surréalisme et le trotskisme.

Boursier de l’Université du Kansas, il bourlingue aux USA qu’il parcourt… en autostop, et entre en contact avec une branche du trotskisme, l’ISL (Independent Socialist League). Ce qui lui vaudra d’être repéré par le FBI. Son visa échu et non prolongé, il rentre à Genève «chez ses parents», adhère au parti socialiste suisse, après avoir écarté l’idée de faire une carrière politique. Le mouvement syndical, en revanche, offre de manière plus directe des possibilités d’action face au capitalisme. Après quelques contestations et l’achèvement de ses études de sociologie, il devient secrétaire de l’UITA (Union internationale des travailleurs de l’alimentation). Il s’y consacre entièrement, y apportant et son originalité hors des cheminements battus et son réalisme.

Les sigles et les grandes victoires
Qui, lisant un ouvrage scientifique ou politique, n’a pas eu recours occasionnellement à la table des sigles? Mais pour suivre l’histoire du syndicalisme international, il faut s’avancer dans une jungle de majuscules et savoir distinguer le CESA du CES, ou la CISC de la CISL, quand ce n’est pas la CIA, elle, universellement connue. Ce jeu de sigles a un sens, il traduit la guerre des centrales. D’abord, reflet de la guerre froide, l’opposition entre les appareils d’obédience soviétique et les syndicats libres, mais encore il traduit la méfiance des Américains envers les syndicats qui, en Amérique latine notamment, sont surveillés par la CIA. On lit aussi dans les sigles la volonté de Bruxelles de soutenir des syndicats qui seront les interlocuteurs privilégiés de la Commission européenne. Et dans ces luttes de pouvoir des appuis sont décisifs, par exemple celui des syndicats nord-américains des bouchers, des boulangers.

Mais l’alimentation a vu se constituer des géants de la production et de la distribution. L’UITA fut amenée à les affronter pour défendre l’existence de syndicats locaux. Des batailles furent gagnées parce que ces multinationales étaient mondialement connues sous leur nom, porteur de leur publicité – Coca-Cola, Nestlé – et donc exposées à une détérioration d’image. Les plus belles victoires furent celles où joua la solidarité syndicale. A citer, celle remportée sur Nestlé qui voulait la dissolution d’un syndicat au Pérou et qui céda sous la menace d’une grève illimitée dans son usine-phare de fabrication de lait en poudre… en Nouvelle-Zélande.

L’UITA ne négocie pas directement mais veille à ce que les droits syndicaux soient respectés. A l’interne, il faut s’assurer que les décisions sont prises démocratiquement, que les femmes sont associées aux décisions. Dans ce combat, le syndicalisme international peut aussi s’appuyer sur l’OIT (Organisation internationale du travail) qui, issue des Nations Unies, veille par le droit international à faire respecter la dignité des travailleurs.

Quel socialisme?
En décembre 2000, répondant à un tous-ménages de Christoph Blocher, Dan Gallin publie un essai Qu’est-ce que le socialisme? Il parut dans Domaine Public et fut encarté dans Le Temps.
Les simplismes blochériens consistaient à affirmer que le socialisme était essentiellement liberticide, de la même famille que le fascisme ou le stalinisme. Il était nécessaire de corriger les erreurs de fait, voire les contre-sens dans l’interprétation des textes cités.

Mais à l’occasion de cette rectification, au sens fort du terme, Dan Gallin rend hommage aux socialistes qui ont inspiré son propre engagement. Notamment à ces hommes, tel Victor Serge, qui eurent, avec un courage intellectuel exceptionnel, à faire front contre le stalinisme, et contre l’ordre capitaliste. Les Mémoires d’un révolutionnaire de Victor Serge demeurent un témoignage capital de cet engagement. Quelque chose de cet esprit, et libertaire et organisationnel, se retrouve, trace trotskiste, chez Gallin. On pourrait la définir: une intransigeance non sectaire.

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Prolétaires de tous les pays…
C’est une riche idée qu’a eu le Collège du Travail à Genève de rassembler et d’éditer une vingtaine de textes de Dan Gallin couvrant ses écrits sur le syndicalisme international au cours des trente dernières années. Le livre a été fort bien édité et illustré, ce qui rend sa lecture particulièrement agréable.

Les lecteurs et lectrices de Pages de gauche pourront retrouver dans cet ouvrage la prose de celui qui est membre du comité de notre association et contributeur régulier dans ces pages. Les textes rassemblées comportent deux longues interview sur le travail de Gallin en tant que secrétaire général de l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA), une des principales organisations syndicales internationales. Il y revient notamment sur une des célèbres actions de l’UITA qui avait été l’organisation d’un boycott international de Coca-Cola pour forcer la firme américaine à mettre fin aux assassinats de syndicalistes au Guatemala et à y reconnaître le syndicat. Dan traite également des enjeux actuels du syndicalisme international, notamment en lien avec les transformations de la classe ouvrière (informalisation du travail, féminisation, etc.) et du capitalisme.

Les autres textes portent sur l’histoire du mouvement ouvrier au XXème siècle dans une perspective social-démocrate que l’on peut qualifier de « socialisme démocratique du troisième camp » (ni dans le camp du capitalisme, ni dans celui du stalinisme, mais dans celui de la classe ouvrière). On y retrouvera notamment la réponse très documentée (publiée à l’époque par Domaine public) que Gallin avait faite au pamphlet anti-socialiste de Christoph Blocher. Ses rappels sur l’histoire du mouvement ouvrier et du parti socialiste suisse en particulier sont extrêmement utiles.

Gallin a le grand mérite de combiner à la fois une connaissance érudite de l’histoire et de la théorie du mouvement ouvrier avec un engagement syndical de longue durée et donc une connaissance concrète des situations des travailleuses et travailleurs à travers le monde. Il nous rappelle à cet égard la nécessité permanente pour le mouvement syndical comme pour le parti socialiste de connaître sa propre histoire et surtout de former ses militant-e-s et ses cadres. Cet ouvrage est assurément une contribution de première qualité à une telle entreprise d’éducation socialiste.

Dan Gallin, Fil rouge. Expériences et écrits sur le syndicalisme international, Genève, Collège du Travail, 2009.

Romain Felli,  Pages de Gauche, No. 85 (Mars 2010)


Un puits de science syndicale…
par Christophe Koessler, dans L’Evénement syndical, 10 mars 2010
Trente d’ans d’expérience de syndicalisme international résumés en un livre. Dan Gallin confie son histoire et ses riches réflexions

Trente ans passés au sein des bureaucraties syndicales n’auront pas altéré son sens critique, ni son franc parlé: «Le partenariat social appartient au passé, même dans les pays où les syndicats ont été les plus forts (…) Maintenir une apparence de négociation sans pouvoir de négociation est une pure illusion, non une stratégie de lutte.» Si Dan Gallin, ex-secrétaire général de l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA) ne fait pas l’unanimité au sein des syndicats, il a le mérite de présenter une vision cohérente, documentée et basée sur une large expérience. Dans son livre, Fil Rouge: expériences et écrits sur le syndicalisme international, publié fin 2009*, le militant rassemble quelques-uns de ses meilleurs textes, ainsi qu’une large interview sur son expérience syndicale et son parcours. Ce document est aussi le fruit de plus de dix ans d’analyses menées au sein du Global labour institute (GLI), centre de réflexion sur le syndicalisme international et la mondialisation, qu’il a fondé dans les années 1990 à Genève.

Crise du syndicalisme
Si ce patchwork peut rebuter par son hétérogénéité, sa lecture se révèle passionnante pour tous ceux qui veulent sortir le syndicalisme de son horizon parfois trop étriqué. Comme quand Dan Gallin nous rappelle les raisons principales de la crise que traverse le mouvement syndical à l’échelle mondiale et l’a rendu si faible. Bien sûr, la mondialisation et l’internationalisation du capital sont passées par là, alors que le pouvoir social et politique des travailleurs reste confiné dans les limites des Etats nationaux. Mais les syndicats se sont affaiblis bien avant, analyse l’auteur: décimés par la Seconde Guerre mondiale, ils se sont ensuite reconstruits en perdant leur indépendance et leur radicalité: «Dans l’Europe de l’après-guerre, tous les gouvernements démocratiques ont commencé par être favorable aux revendications ouvrières, et les syndicats affaiblis se sont mis dans une situation de très forte dépendance envers les pouvoirs publics. Ils n’aspiraient plus à représenter une société alternative. Dans la paix et la prospérité retrouvées, le mouvement syndical avait déposé toutes ses armes idéologiques et politiques.» Puis avec le développement du secteur tertiaire, les syndicats ont perdu en importance, ne parvenant pas à s’y implanter…

Alliances et combat
Les syndicats sont-ils donc condamnés à l’impuissance? Non, pour Dan Gallin, ils sont d’ailleurs les seuls à pouvoir arrêter la folie du capitalisme qui détruit la planète: «Le mouvement syndical doit-il sauver l’humanité? Oui évidemment. Il n’y a aucune autre force sociale qui ait le potentiel d’atteindre cet objectif, le seul qui compte aujourd’hui.» Mais bien sûr pas sans alliances. Un chapitre est consacré à la collaboration souvent conflictuelle et pourtant essentielle avec les Organisations non gouvernementales (ONG), notamment sur la question des droits humains au sens large. Pour lui, nombre d’entre elles font d’ailleurs partie du mouvement ouvrier, sujet dont il dresse l’histoire dans le livre. Un combat essentiel commun avec les ONG: la lutte contre le pouvoir sans mesures des multinationales, dont il a fait un axe prioritaire de sa lutte au sein de son organisation syndicale internationale. Les récits de batailles menées contre Coca-Cola et Nestlé et les grèves de solidarité qui ont eu lieu en Europe en faveur des camarades sud-africains sont des petits bijoux de l’histoire syndicale, trop souvent oubliée.

Rupture et socialisme
Mais pour Dan Gallin, il faut aller plus loin, et «redevenir une menace», grâce à une politique de rupture: «Je crois personnellement qu’un capitalisme bienveillant et durable est une illusion (…). Toute la politique, toutes les activités et les priorités du mouvement syndical devraient être revues dans une nouvelle perspective, celle du changement de système…»


* Fil rouge, expériences et écrits sur le syndicalisme international, Collège du travail, 2009, 33 francs. Peut être commandé à l’adresse: collegedutravail@bluewin.ch ou au numéro 022 328 64 95.