Histoire: La montée du fascisme (Dan Gallin, 2007)

Italie
A la fin de la première guerre mondiale l’Europe était traversée de mouvements révolutionnaires, à commencer par les révolutions de février et octobre 1917 en Russie.Le pouvoir soviétique survit à une guerre civile de trois ans (1918 – 1921), malgré l’intervention de plusieurs armées étrangères aux côtés des armées “blanches” (contre-révolutionnaires) et l’URSS est proclamée en 1922, mais le pays est exsangue, épuisé. Dans tous les autres pays (Allemagne, Autriche, Hongrie, Finlande) les tentatives révolutionnaires échouent. Une tentative d’exporter la révolution par les armes échoue également: l’Armée Rouge qui a envahi la Pologne en 1920 est arrêtée devant Varsovie par l’armée polonaise et refoulée.

Mais la bourgeoisie a eu très peur, et elle continue d’avoir peur: dans les années 1920, l’URSS est encore révolutionnaire et continue à être perçue comme une menace à l’ordre social capitaliste, alors que des luttes sociales, parfois très dures, se poursuivent dans la plupart des pays d’Europe occidentale.
La priorité des détenteurs du capital et des mouvements politiques qui défendent leurs intérêts sera donc de détruire le mouvement ouvrier – tout le mouvement ouvrier. En effet, alors que les communistes dénoncent les “traîtres” socialistes (qui pourtant avaient combattu avec eux en Finlande et en Hongrie), du point de vue de la droite dure c’est l’ensemble du mouvement ouvrier qui représente une menace qu’il faut détruire.

Cela commence en Italie qui, au sortir de la guerre, est un pays en crise. Crise économique d’abord: destructions dans le Nord-Est touché par la guerre, inflation et endettement de la population qui voit son pouvoir d’achat s’effondrer, progression du chômage. En 1919 et 1920, les ouvriers des grands centres industriels occupent les usines et prennent leur gestion en main par des conseils ouvriers. Les paysans, qui attendent une réforme agraire qui ne vient pas, se partagent les terres des grands propriétaires.

Pourtant, ce mouvement social puissant n’aboutit pas à un changement de société: le PS et la CGL, centrale syndicale dominante, reculent devant l’option révolutionnaire et signent un accord avec le patronat en échange d’un projet de loi sur “l’intervention des ouvriers dans le contrôle technique et financier et dans l’administration entreprises” , loi qui ne vit jamais le jour car le régime parlementaire est gagné de vitesse par le fascisme. Les paysans sont chassés des terres occupées par la police et réprimés.

Le parti communiste italien est fondé en 1921, à partir des socialistes révolutionnaires de Ordine Nuovo à Turin (Antonio Gramsci) et de Il Soviet à Naples (Amedeo Bordiga), trop tard pour peser sur les événments.

La crise est aussi idéologique: l’Italie, entrée en guerre malgré l’opposition de la majorité du PS, se trouve dans le camp des “vainqueurs” mais ses revendications territoriales (sur l’Istrie et la côte dalmate) n’ont pas été satisfaites, et le nationalisme frustré suscite des mouvements extrémistes précurseurs du fascisme.

L’homme qui permettra à la bourgeoisie de résoudre la crise sociale et la crise de l’Etat à sa façon, selon ses intérêts, est un transfuge socialiste: Benito Mussolini, ancien rédacteur de Avanti!, le quotidien du parti, exclu du PS pour avoir fait campagne pour l’entrée en guerre de l’Italie. Il fonde un nouveau journal, le Popolo d’Italia, subventionné par le patronat et par les services secrets français (par l’intermédiaire de Marcel Cachin, dirigeant social-patriote, communiste après 1919), qui contribue à entraîner l’Italie dans la guerre en 1915.

Mussolini organise aussi des bandes armées, les fasci d’azione rivoluzonaria, devenus à partir de 1919 les fasci di combattimento, qui attaquent les organisations ouvrières et brisent des grèves. En 1921, il les rassemble dans le Parti national fasciste (PNF), soutenu par le patronat et la droite politique.

Le PNF devient rapidement un parti de masse (700,000 membres à la fin de 1921) mais les résultats aux élections restent médiocres. Il démontre cependant sa force en août 1922 en brisant une grève générale lancée par le PS et dirigée contre lui. Finalement, Mussolini décide de prendre le pouvoir par un coup d’Etat. En octobre 1922, il lance une “marche sur Rome” et un ultimatum théatral au roi Victor-Emmanuel III en lui ordonnant de lui donner le pouvoir. La “marche sur Rome”, qu’il aurait été facile d’arrêter, est en fait une mise en scène. Le roi, qui avait déjà en août décidé d’appeler Mussolini au pouvoir, le nomme aussitôt chef du gouvernement.

En un premier temps, Mussolini se veut rassurant et préside un gouvernement d’union nationale avec des politiciens de droite. En novembre, le parlement lui donne les pleins pouvoirs, contre l’opposition de la majorité des socialistes. En décembre, Mussolini crée le “Grand Conseil du Fascisme”, composé de membres de la direction du PNF et des hauts fonctionnaires essentiels à la bonne marche de l’État, qui devient le gouvernement de fait.

En 1924, Mussolini modifie la loi électorale permettant au PNF de remporter la majorité. Giacomo Matteotti, secrétaire général du PS, qui dénonce la manœuvre au parlement, est assassiné, assassinat qui sera revendiqué par Mussolini dans un discours au parlement en janvier 1925.

Mussolini est abandonné par ses alliés bourgeois, mais garde le soutien du roi et peut désormais agir en toute liberté. Les lois “fascistissimes” de 1926 transforment l’Italie en dictature. Le PNF est le seul parti autorisé, les députés des autres partis sont déchus, les opposants sont emprisonnés, déportés ou exilés.

Les syndicats sont remplacés par des corporations dominés par le patronat, les grèves sont interdites. La presse est censurée, une police politique (OVRA) est instituée, ainsi qu’un fichier de suspects politiques et un “tribunal spécial”. Les milices fascistes font régner la terreur.

Des milliers de démocrates s’exilent pour échapper à la prison ou à la déportation sur les îles. L’opposition s’organise: socialistes et républicains constituent une Concentration antifasciste, surtout active dans l’exil italien en France. Le mouvement Giustizia e Libertà des frères Carlo et Nello Rosselli (qui sera à l’origine du Partito d’Azione après la guerre) préconise la résistance active (attentats, sabotages) mais en Italie le réseau est démantelé par la police. Le PCI se dote d’une structure clandestine qui agit à l’intérieur et à l’extérieur, mais refuse tout accord avec la Concentration.
Les frères Rosselli seront assassinés en 1937 en France, par un commando d’une organisation fasciste française, sur ordre de Mussolini.

En 1929, le pape Pie XI signe les Accords du Latran avec l’Etat fasciste qui lui concédera l’existence de l’Etat du Vatican; le catholicisme est déclaré religion d’Etat.

L’idéologie fasciste évolue. Au départ (programme de 1919) gauchiste pour mieux combattre le mouvement ouvrier, avec des revendications révolutionnaires reprises du socialisme et de l’anarcho-syndicalisme, elle devient néo-libérale lorsque Mussolini, en 1921, avant son accession au pouvoir, annonce son soutien au libéralisme et au capitalisme, et reçoit en retour le soutien des organisations patronales. La phase libérale dure de 1922 à 1925: libération des prix et des loyers, fin de la réforme agraire, remise en cause des monopoles d’État, équilibre budgétaire par la réduction drastique des dépenses de l’État.

A partir de 1925, nouveau tournant: l’Etat corporatiste est instauré. Alors que Mussolini disait en 1922: “Nous voulons dépouiller l’Etat de tous ses attributs économiques: assez de l’Etat cheminot, de l’Etat postier, de l’Etat assureur”, il déclare en 1926: “Tout dans l’Etat, rien hors de l’Etat et rien contre l’Etat”. A partir de 1929, le PNF s’efforce de soumettre la société à un contrôle total: l’Etat devient “totalitaire” (on attribue à Mussolini l’origine du mot). Il n’y arrivera jamais complètement, contrairement à ce qui va se passer dans l’Allemagne nazie et dans l’URSS stalinienne.

A la différence du Nazisme, le fascisme italien n’a pas été raciste au départ. Ce n’est qu’en 1938, en partie sous la pression de l’Allemagne nazie avec laquelle il est allié depuis 1936, que le régime fasciste italien adopte des lois anti-sémites, qui interdisent le mariage de juifs et de non juifs, et excluent les enseignants juifs des écoles publiques. Ces lois sont impopulaires et souvent contournées. En outre, les autorités italiennes refusèrent toute coopération au programme nazi d’extermination des juifs. En 1943, cependant, alors que les Alliés débarquent en Italie du Sud, l’Italie du Nord et du Centre est occupée par l’armée allemande, et c’est alors que quelque 8,000 juifs italiens sont déportés et assassinés à Auschwitz-Birkenau.

Mussolini fut arrêté lorsque l’Italie changea de front en 1943, puis libéré par un commando des SS. Il prit alors la tête de la “République sociale italienne” établie au Nord (connue aussi comme “République de Salò” du nom de la ville sur le Lac de Garde qui lui servit de siège). Le PNF devient le Parti fasciste républicain et poursuit la guerre à côté de l’armée allemande contre la Résistance. La “République sociale” parvient à se maintenir jusqu’en avril 1945. Le 27 avril 1945 Mussolini est en fuite vers l’Allemagne. Il est arrêté par une unité de partisans communistes et exécuté le lendemain.

Portugal
Le Portugal est le prochain pays à tomber. En 1926, dans un contexte de crise économique et sociale, un coup d’Etat de l’armée met fin à la République et établit une dictature militaire. La principale centrale syndicale, la CGT anarcho-syndicaliste, est déclarée illégale et son quotidien A Batalha, qui est le troisième journal du pays, est supprimé.

En 1928, les militaires nomment un ministre des finances, Antonio Oliveira de Salazar, qui opère un redressement économique par des mesures d’austérité. En 1932 il est nommé Président du Conseil par le président de la république, le général Oscar Carmona. Salazar consolide l’Etat autoritaire. En 1933, il fait adopter une nouvelle constitution corporatiste et proclame l’Estado Novo. Les syndicats sont supprimés et remplacés par des corporations de métier. Salazar crée un parti unique, l’Union nationale, une police politique, la PIDE. Comme en Italie, le patronat appuie le régime, mais à la différence du fascisme italien, l’idéologie du régime est plutôt le cléricalisme conservateur. Les vraies bases du régime sont l’Eglise et l’armée.

A partir de 1933, la CGT est durement frappée. De nombreux syndicalistes sont arrêtés, internés et déportés (notamment au camp de Tarrafal, aux Îles du Cap-Vert, ou des dizaines de militants anarchistes, syndicalistes et communistes trouveront la mort).

En 1934 la CGT déclenche une grève générale insurrectionnelle pour s’opposer à la création des nouveaux syndicats corporatistes. Les travailleurs prennent le contrôle de la ville de Marinha Grande, centre industriel, et s’organisent en conseils. L’insurrection est réprimée par l’armée, qui réduit les centres de résistance par l’artillerie. Des centaines de militants sont envoyés dans les camps de concentration des colonies.

Le fascisme portugais durera plus de quarante ans. La CGT résistera moins bien à la répression que le Parti communiste. Quand le régime tombe enfin en avril 1974, l’espace politique de l’anarcho-syndicalisme aura été pris par le PCP, alors que les socialistes, faibles dans la clandestinité, émergent comme la force dominante de gauche.

Allemagne
Un parti d’extrême-droite, le parti ouvrier allemand, est fondé en 1919. Il deviendra le parti national-socialiste ouvrier allemand (National-Sozialistische Deutsche Arbeiterpartei – NSDAP) en 1920; Adolf Hitler en devient président en 1921. Le NSDAP n’est alors qu’un groupuscule d’extrême-droite parmi d’autres, et Hitler n’est pas pris au sérieux. Mais Hitler crée une milice du parti, la Sturmabteilung (SA), qui s’affronte aux organisations de gauche dans des combats de rue.

La République de Weimar, proclamée en 1918 est gouvernée par le parti social-démocrate majoritaire MSPD . Elle doit faire face à une droite réactionnaire, nostalgique de l’empire. Les Freikorps, milice paramilitaire composée de volontaires, qui ont fait son sale travail en réprimant les mouvements révolutionnaires en 1919, la haïssent. Le Stahlhelm (casque d’acier), organisation d’anciens combattants, est une autre milice de guerre civile et le Deutschnationale Volkspartei, du magnat de la presse Hugenberg, est un relais politique influent. La justice et l’administration de l’Etat sont majoritairement aux mains de la droite réactionnaire.

Le mouvement ouvrier reste cependant puissant. En mars 1920, les Freikorps tentent un coup d’Etat: ils occupent Berlin et installent Wolfgang Kapp, un politicien de droite, comme chancelier. La centrale syndicale socialiste, le ADGB, appelle à la grève générale, appuyée par les trois partis ouvriers (MSPD, USPD et KPD). La grève générale est totale et paralyse le gouvernement factieux. Après quatre jours le putsch s’effondre, les Freikorps se retirent et Kapp s’enfuit.

Ce sera la dernière fois où la classe ouvrière allemande aura l’occasion de prendre l’initiative et de faire la preuve de sa puissance. On a là une unité d’action remarquable de la classe ouvrière sous l’égide des syndicats: les trois partis ouvriers sont unis contre la réaction, qui est écrasée par la grève générale. Dans la gauche, la constellation politique est favorable pour aller plus loin: c’est Paul Levi (un proche de Luxemburg) qui est à la direction du Parti communiste. Noske, le ministre de l’intérieur qui avait fait intervenir les Freikorps pour réprimer les conseils révolutionnaires, est éliminé de la direction social-démocrate; sa carrière est terminée.

Carl Legien, président de l’ADGB, propose l’établissement d’un gouvernement ouvrier (composé des trois partis ouvriers) sous sa direction, avec un programme de démocratisation de l’appareil de l’Etat et de socialisation partielle de l’économie. Si Levi n’avait pas été en prison, il aurait probablement réussi à persuader le Parti communiste (que Luxemburg aurait voulu appeler socialiste) et surtout l’USPD d’accepter la proposition Legien. Mais le USPD et le KPD refusent. Ce refus empêcha une véritable démocratisation de la République de Weimar.

La période 1923-1928 est une période de relative stabilité politique. En 1923, Hitler tente un coup d’Etat à Munich, facilement réprimé par l’armée. Hitler est arrêté et condamné à cinq ans de prison pour haute trahison, mais bénéficie d’une libération anticipée après seulement 13 mois. Pendant sa détention, il écrit Mein Kampf, autobiogaphie et manifeste politique. En 1927, il reconstruit le NSDAP qui avait été interdit, cependant, aux élections de 1928 le parti ne recueille que 2,6% des suffrages.

C’est la crise économique de 1929 qui donne sa seconde chance à Hitler. En Allemagne, la crise fait 12 millions de chômeurs, sans protection sociale. Une partie de la classe ouvrière se détourne des partis de gauche, apparemment incapables de trouver une issue à la crise, qu’elle soit réformiste ou révolutionnaire. Aux élections de 1930, le NSDAP fait 18,3% et devient le deuxième parti du Reichstag (parlement) après de SPD (24,5%), mais avant le KPD (13,1%). Aux élections de juillet 1932 le NSDAP obtient 37,3% et devient le premier parti (le SPD obtient 21,6% et le KPD 14,5%), mais il y a de nouvelles élections en novembre 1932 où le parti nazi se tasse, avec 33,1%, alors que le KPD progresse (16,9%) au dépens du SPD (20,4%).

En 1932, Hitler se présente à la présidence de la République contre le président sortant, le général Paul von Hindenburg, et obtient 30,1% des voix au premier tour en mars et 36,8% au second tour en avril. Hindenburg est ré-élu, y compris avec les voix social-démocrates, mais, sous pression de la droite, il nomme Hitler Chancelier (premier ministre) en janvier 1933.

La terreur nazie commence aussitôt. L’incendie du Reichstag, le 27 février, attribué aux communistes, donne le prétexte d’abolir les droits démocratiques. Les députés du KPD sont déchus de leur mandat et arrêtés. Aux élections de mars 1933, fortement conditionnées par la terreur nazie, le NSDAP obtient 43,9% des voix (contre 18,3% au SPD et 12,3% au KPD). Le 23 mars 1933 le Reichstag vote les pleins pouvoirs à Hitler, contre l’opposition des socialistes, dont le quart des députés est déjà arrêté ou en exil. Les premiers camps de concentration commencent à se remplir en mars 1933.

Le chef du groupe socialiste, Otto Wels, défie Hitler: “En cette heure historique, nous autres social-démocrates allemands proclamons solennellement notre attachement aux principes de l’humanité et de la justice, de la liberté et du socialisme. Aucune loi (…) ne vous donne le pouvoir d’anéantir des idées qui sont éternelles et indestructibles. Nous saluons les persécutés et les opprimés. Nous saluons nos amis dans le Reich. Leur résistance et leur fidélité méritent admiration. (…) On peut nous prendre la liberté ou la vie, on ne peut pas nous prendre l’honneur”.

En mai les syndicats, dont les chefs cherchaient encore un accommodement avec Hitler, sont dissous, leurs avoirs confisqués. Une organisation corporatiste, le Front allemand du Travail (DAF) les remplace. En juillet, le NSDAP devient parti unique.

En juin 1934, Hitler fait assassiner une partie de ses anciens partisans qui représentaient la “gauche nazie”, notamment Gregor Strasser et Ernst Röhm, chef des SA, et donne ainsi des gages supplémentaires au patronat qui l’avait soutenu.

Le 2 août, le président Hindenburg est mort et, en vertu de la Constitution, le chancelier exerce temporairement les pouvoirs du président défunt. Le même jour, le Reichstag vote une loi de fusion des deux fonctions en une seule: Hitler devient Führer et Reichskanzler.

La gauche pouvait-elle arrêter le désastre? Elle en avait certainement les moyens. D’abord les moyens de l’Etat: le SPD détenait jusqu’en mars 1930 la présidence de la République (Hermann Müller) et détenait également le gouvernement de la Prusse, principale province de la République, avec une police de 100,000 hommes bien armés, sous commandement socialiste. Ensuite, l’organisation armée. Le SPD, avec d’autres partis démocratiques, avait créé en 1924 le Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold, organisation paramilitaire dont le but était de défendre les organisations ouvrières et la démocratie républicaine, et qui avait 250,000 membres en 1931. Le KPD avait de son côté créé le Rote Frontkämpfer Bund, également en 1924, qui avait été déclaré illégal en 1929, mais était encore en état d’agir, avec 100,000 membres.

En 1930, les SA n’avaient que quelques milliers de membres mal organisés. En janvier 1931, ils étaient 100,000, et un an plus tard 300,000, militairement organisés.

En 1931 ou 1932 au plus tard, un front uni des partis ouvriers aurait pu arrêter le nazisme. Il aurait fallu s’unir et combattre. Ni l’un ni l’autre furent possibles. Les responsabilités sont partagées.

D’abord, celles du KPD. A partir de 1924, dans le cadre de la “bolchévisation”, le KPD est mis au pas et suit inconditionnellement les directives de Moscou. Or, en 1928, l’Internationale communiste (Komintern) avance la théorie de la “troisième période”. En quoi consiste la “troisième période”? Selon le Komintern, la première période s’étendait de 1918 à 1923. Elle avait été celle d’une crise révolutionnaire aiguë. La deuxième période allait de 1923 à 1928. Elle avait été celle de la stabilisation du capitalisme. La troisième période était celle de la crise générale du capitalisme qui rendait la révolution imminente.

Dans ce contexte, le socialisme démocratique devenait l’ennemi principal parce qu’il défendait la démocratie “bourgeoise”: c’est la théorie du “social-fascisme”. Cet échafaudage reposait sur l’identification de la démocratie bourgeoise et du fascisme, comme deux formes de domination de classe de la bourgeoisie.

La social-démocratie étant caractérisée comme “aile gauche du fascisme”, il n’est évidemment plus question d’accords entre les dirigeants “social-fascistes” et ceux des PC : “le front unique doit se réaliser à la base”. En d’autres termes, les ouvriers socialistes doivent se soumettre à la direction des PC, sans quoi ce sont aussi des “social-fascistes”.

L’Allemagne des années 1930-1933 a été le tragique champ d’expérience de la théorie du “social-fascisme”. Ayant déclaré les socialistes comme ennemi principal (autant ceux du SPD que ceux des groupements socialistes de gauche, “encore plus dangereux”), le KPD n’hésitait pas à collaborer avec les Nazis, comme dans la grève des tramways de Berlin de 1932, organisée conjointement par les organisations d’entreprise communiste et nazie, qui dura tout le mois de novembre.

Quant au SPD, sa politique était fondée sur le respect de la Constitution de Weimar. Il comptait sur l’appareil d’Etat, la Reichswehr (c.à.d. l’armée, pourtant aux mains de la droite réactionnaire), la police, pour défendre la légalité, mais reculait devant toute mesure qui aurait pu déclencher une guerre civile, alors même qu’il était en position de force. Le Reichsbanner attendait l’ordre d’intervenir contre les Nazis, ordre qui ne vint jamais.

Un parti socialiste de gauche lutte désespérément pour un front unique ouvrier: c’est le SAP (Sozialistische Arbeiterpartei), fondé en 1931 par des socialistes de gauche et des exclus du KPD. Il est trop petit et arrive trop tard pour peser sur les événements.

Les socialistes payeront cher la paralysie de leur volonté politique par leur confiance aveugle en la légalité bourgeoise, tout comme les communistes payeront leur politique suicidaire de favoriser l’avènement du nazisme pensant qu’ils en prendraient la relève.

Les estimations du nombre d’Allemands qui avaient passé par les prisons et les camps de concentration entre 1933 et 1945 varient entre 750,000 et 1,2 millions, sans compter les citoyens persécutés et ensuite exterminés pour le seul fait d’être juifs. Le nombre de condamnations à mort atteint 12,000, auquel il faut ajouter les assassinats sans procédure judiciaire, qui se comptent par milliers.

Autriche
La guerre amène l’effondrement et le démembrement de l’Empire Austro-Hongrois. L’Autriche qui reste, est le Deutschösterreich, la petite partie de l’empire de langue allemande, un petit pays avec une grande capitale impériale, Vienne.

La République est proclamée en novembre 1918. Trois partis principalement sont en présence: le Parti social-démocrate ouvrier (SDAP), le Parti chrétien-social (CSP) et la Ligue nationale allemande (DV).

L’Assemblée nationale se réunit et élit un gouvernement, présidé par Karl Renner (SDAP). Comme l’Assemblée est issue de la monarchie, il faut une élection pour qu’elle puisse devenir une Constituante.

Cette élection a lieu en 1919: les femmes participent pour la première fois comme citoyennes de plein droit, le SDAP émerge comme le parti le plus fort avec 40,8% des voix, suivi des Chrétiens-Sociaux (35,9%). Le parti nazi existe déjà, mais le NSDAP n’obtient que 0,8%. Il n’aura que 3% en 1930.

Il y aura quatre élections dans l’histoire de la Première République autrichienne après celle-ci: en 1920, 1923, 1927 et 1930. Le SDAP obtient entre 39 et 48 pourcent dans ces élections et occupe pratiquement tout l’espace politique de la gauche. Le Parti communiste reste insignifiant: il se présente aux trois dernières élections mais reste chaque fois en dessous de un pourcent.

Le SDAP est un parti socialiste de gauche. Dans l’Internationale socialiste, il représente un courant original, l’austro-marxisme, qui est un réformisme radical et en même temps une théorie de l’autonomie nationale-culturelle, par laquelle les socialistes autrichiens cherchèrent à résoudre le problème de la coexistence de nationalités différentes dans un ensemble multi-ethnique comme le fut l’Empire austro-hongrois.

Comme l’Allemagne et l’Italie, l’Autriche subit des crises économiques graves, d’abord en 1919-1920, ensuite à partir de 1929, quand la crise mondiale l’atteint. Les deux premiers gouvernements (le provisoire de 1918 et celui issu des élections de 1919) sont des coalitions du SDAP et du CSP. Malgré la coalition, les relations entre le SDAP, socialiste de gauche et le CSP, clérical et réactionnaire, sont tendus. La rupture de la coalition intervient en juillet 1920; aux élections en octobre le CSP (41,8%) devance le SDAP (38,0%) et forme une nouvelle coalition de droite avec le DV, le Bürgerblock, qui durera jusqu’à la fin de la République.

La vie politique se radicalise et se polarise. Une milice paramilitaire est formée en 1920: les Heimwehren, proches du CSP, qui deviennent le bras armé de la droite. Elles sont financées et armées par le grand patronat, notamment de Styrie, et par l’Italie fasciste. En 1924, le SDAP riposte en organisant à son tour le Republikanischer Schutzbund. Comme la Heimwehr, le Schutzbund est organisé militairement. Conçu au départ comme un service d’ordre et de protection des manifestations socialistes, il devient, comme la Heimwehr, une véritable armée, avec 80,000 membres en 1928.

Lors de son congrès à Linz en 1926, le SDAP adopte un programme qui pose la question de la conquête du pouvoir, et se déclare prêt à le prendre par la force si la bourgeoisie devait s’opposer aux moyens démocratiques. Ce programme est perçu par la droite comme une provocation.

En janvier 1927, un incident survient lors d’une manifestation de la Heimwehr. Trois de ses membres tirent sur une contre-manifestation du Schutzbund et tuent un de ses militants et un enfant de six ans. Lors du procès des assassins à Vienne en juillet la cour prononce un non lieu et les libère. Le lendemain, des manifestants en colère se rassemblent devant le Palais de Justice. Des dirigeants du SDAP tentent sans succès de calmer les manifestants qui incendient le bâtiment. Le gouvernement présidé par le Prélat Ignaz Seipel, président du CSP, ordonne à la police de rétablir l’ordre. La Heimwehr vient prêter main forte, intervenant pour la première fois à Vienne. La police tire dans la foule. Il y a 89 morts du côté des manifestants et des centaines de blessés, 5 morts du côté de la police. Désormais, l’ambiance est à la guerre civile.

En 1930 la Heimwehr, sous la conduite du Comte Ernst Rüdiger Starhemberg, adopte le “programme de Korneuburg”, qui exige la dissolution du Parlement et des partis politiques, et préconise l’instauration d’un Etat corportiste sur le modèle italien, mais chrétien.

En 1932, le président de la République nomme Engelbert Dollfuss, un proche du Prélat Seipel, pour lui succéder comme Chancelier. Dollfuss est un conservateur clérical autoritaire qui partage les idées de la Heimwehr. Les élections locales de Vienne de 1932, gagnées par le SDAP, faisaient craindre à la droite la perte de sa faible majorité aux prochaines élections; il fallait donc les empêcher.

Le 4 mars 1933, Dollfuss fait son coup d’Etat: le Parlement est dissous et Dollfuss gouverne désormais par des décrets d’exception sous une loi d’urgence qui date de la monarchie. Le 7 mars toute assemblée ou manifestation est interdite.

Des sections locales du Schutzbund demandent instamment à la direction du SDAP de donner l’ordre d’entrer en action, mais celle-ci ne bouge pas. Le 31 mars, le Schutzbund est interdit.

Le 10 avril, la participation obligatoire des élèves des écoles à des cérémonies religieuses, qui avait été abolie par un ministre de l’éducation socialiste, est rétablie. Le 10 mai, le gouvernement suspend toutes les élections locales. Le 26 mai, le Parti communiste est interdit, et le 19 juin le gouvernement interdit le NSDAP. Le parti nazi avait en effet fait de l’agitation pour le rattachement à l’Allemagne où Hitler était devenu chancelier deux mois auparavant, alors que Dollfuss et les chrétiens-sociaux y étaient opposés.

Le 20 juin, sur la demande de l’Eglise, la Ligue des libres-penseurs est également interdite.

Le 21 janvier 1934, le quotidien du SDAP, la Arbeiterzeitung, est interdit, et l’ordre est donné de perquisitionner les sièges du parti et les appartements de ses membres pour confisquer les armes qui pourraient s’y trouver. Le 7 février on retira a vingt-et-un maires socialistes la fonction de police. La direction du SDAP ne bouge toujours pas, mais cherche à négocier avec le gouvernement.

Mais le 12 février, la Heimwehr, constituée police auxiliaire, se présente devant le siège du SDAP à Linz, l’Hôtel Schiff, pour y perquisitionner. Le commandant local du Schutzbund, Richard Bernaschek, donne l’ordre de s’y opposer, et les membres du Schutzbund ouvrent le feu. La Heimwehr appelle l’armée, qui prend l’hôtel d’assaut. Vingt membres du Schutzbund sont tués.

La révolte du Schutzbund de Linz s’étendit rapidement dans tout le pays et devint une guerre civile. A Vienne, les immeubles locatifs de la municipalité, qui faisaient l’orgueil de la “Vienne rouge”, habités surtout par des ouvriers socialistes, devinrent des centres de résistance.: notamment le Karl-Marx Hof où habitaient environ 10,000 personnes.

Dollfuss fit intervenir non seulement la Heimwehr et la police, mais aussi l’armée, qui bombarda les immeubles locatif par des tirs d’artillerie. Le Karl-Marx-Hof résista trois jours. Dans le quartier ouvrier de Ottakring un groupe de femmes socialistes se défendit avec une mitrailleuse et cessa de combattre quand toutes étaient mortes.

Des combats eurent lieu dans la plupart des centres industriels en province.
C’est alors seulement que la direction du SDAP appelle à la grève générale: elle est peu suivie. C’est trop tard.

Les combats prirent fin après une semaine. La partie était devenue trop inégale: les unités du Schutzbund n’arrivaient plus à se coordonner et n’avaient pas d’armes lourdes.
Le Schutzbund avait perdu presque 200 morts et plus de 300 blessés; du côté des forces de la répression il y eut 128 morts et 409 blessés. Il y eut aussi des morts et des blessés dans la population qui n’avait pas pris une part directe dans les combats.

Le gouvernement avait rétabli la peine de mort et mis en place des cours martiales. Neuf dirigeants du Schutzbund furent condamnés à mort et exécutés. L’un d’entre eux, Karl Münichreiter, blessé dans les combats, fut porté à la potence sur une civière. Des milliers de militants socialistes furent arrêtés et détenus à Wöllersdorf, un camp que le gouvernement, prévoyant, avait déjà installé en automne 1933.
Dollfuss avait désormais les mains libres pour établir officiellement l’Etat corporatif. Le 1er mai 1934, la nouvelle constitution était proclamée et le Front patriotique fut déclaré parti unique.

La direction du SDAP, entre autres Otto Bauer et Julius Deutsch, s’exilèrent en Tchécoslovaquie et plus tard en France. De nombreux membres du Schutzbund les suivirent. Certains se réfugièrent en URSS, où la plupart périrent dans les épurations staliniennes. Un certain nombre, dont Julius Deutsch, rejoignirent les Brigades internationales en Espagne.

En Autriche, des militants du SDAP décidèrent de créer un nouveau parti: les Socialistes Révolutionnaires (RS) qui organisèrent une résistance efficace jusqu’à l’occupation allemande, suivie par l’annexion à l’Allemagne, en 1938.

Dollfuss était ennemi de Hitler. Pour s’opposer aux visées nazies, il s’appuya sur Mussolini. En effet, lorsque Hitler menaça d’intervenir quand Dollfuss interdit le NSDAP autrichien, l’Italie fit avancer son armée jusqu’à la frontière autrichienne, et Hitler recula. En juillet 1934, les Nazis autrichiens tentèrent un coup d’Etat qui échoua parce que l’armée leur refusa son soutien. Un groupe arriva néanmoins à pénétrer dans la chancellerie et assassina Dollfuss.

Kurt Schuschnigg, ministre de la justice, lui succéda, mais la situation internationale de l’Autriche était sur le point de changer. En 1936, Mussolini avait conclu une alliance avec Hitler, et avait renoncé à l’Autriche. Isolé sur le plan intérieur comme à l’extérieur, Schuschnigg, confronté avec un ultimatum de Hitler en mars 1938, s’inclina. L’armée allemande entra en Autriche le 11 mars sans rencontrer de résistance. L’austro-fascisme avait vécu: il était remplacé par le nazisme jusqu’à la chute du Troisième Reich en 1945.

Autres fascismes
Pendant les années 1930, inspirés par les modèles italien, portugais, allemand et autrichien, des groupements fascistes s’organisèrent dans toute l’Europe. En Espagne, ce furent la Phalange et les Juntas Ofensivas Nacional-Sindicalistas (JONS), unifiées par le général Franco en 1937 sous le nom de “Phalange Espagnole Traditionaliste et des JONS”, qui devient parti unique à l’issue de la guerre civile en 1939 et le restera jusqu’en 1976. Au Pays Basque, le parti carliste (monarchiste et clerico-fasciste) organise une milice, les Requetes, qui participe à la guerre civile du côté franquiste, avec l’appui d’une partie du clergé. (Une autre partie du clergé soutient le Parti nationaliste basque qui se bat du côté républicain).

En Roumanie, un mouvement fasciste, chrétien (orthodoxe) et violemment anti-sémite, les Légions de l’Archange Michael, apparaît en 1927. En 1930, il crée une branche militaire et politique, la Garde de Fer, qui cherche à s’imposer par l’assassinat politique et organise des pogroms anti-juifs. En 1940 elle s’allie avec le général Ion Antonescu, alors premier ministre, pour établir un “Etat national-légionnaire” qui force le roi Charles II à abdiquer en faveur de son fils de 19 ans Michel, et rejoint l’Axe en novembre 1940.

Le 27 novembre la Garde de Fer massacre 60 anciens dignitaires et dirigeants détenus dans la prison de Jilava. A la suite de ce massacre, Antonescu dissout la police légionnaire. En janvier 1941 la Garde de Fer tente de saisir le pouvoir par un coup d’Etat assorti d’un pogrom sanglant à Bucarest, mais l’armée roumaine, sous le commandement de Antonescu, réprime la rébellion et les dirigeants de la Garde se réfugient en Allemagne. Antonescu établit alors une dictature militaire qui fera la guerre en Russie aux côtés de l’Allemagne jusqu’au coup d’Etat du roi Michel le 23 août 1944 où la Roumanie change de camp. Antonescu est jugé et exécuté en 1946. Une partie de la Garde de Fer est absorbée dans l’appareil policier communiste après 1948; elle continue en exil surtout en Espagne et en Argentine.

Le Parti social-démocrate de Roumanie, fondé en 1893, et le Parti socialiste unitaire, issu d’une scission de gauche du PSDR en 1931, sont interdits en 1938 avec tous les autres partis politiques. Les syndicats sont interdits fin 1940. Le Parti communiste, fondé en 1921, avait déjà été interdit en 1924.

L’héritage du fascisme légionnaire, allié à ce qui reste du national-stalinisme de Ceauşescu, se retrouve dans la Parti de la Grande Roumanie (PRM), dirigé par Corneliu Vadim Tudor, ancien poète de cour du dictateur. Le PRM a 28 députés sur 326 au parlement élu en 2004.

En Hongrie le Parti des Croix fléchées était fondé en 1935 par Ferenc Szálasi sur le modèle nazi. Il gouverna la Hongrie d’octobre 1944 à janvier 1945.

La Hongrie, dirigée après l’écrasement de la République soviétique en 1919 par le régent Horthy, avait rejoint l’Axe en 1940 et en 1941 entre en guerre contre l’URSS aux côtés de l’Allemagne. Cependant, en 1944, avec l’armée soviétique aux frontières, Horthy signe un armistice avec l’URSS. C’est alors que Hitler ordonne aux Croix fléchées de renverser Horthy et de prendre le pouvoir. Le gouvernement Szálasi, appuyé par l’armée allemande, continue la guerre et accélère la déportation de la population juive vers Auschwitz.

Le 28 décembre 1944, le gouvernement Szálasi est renversé et remplacé par un gouvernement provisoire. Budapest est assiégée et se rend en février 1945. Szálai et ce qui reste des Croix fléchées s’enfuit avec l’armée allemande.

Un parti fasciste, la “Garde hongroise”, été recréé en Hongrie en été 2007. Organisé militairement, il utilise certains symboles des Croix fléchées. Pour l’instant marginal, il s’est signalé par sa violence lors de manifestations, notamment en marge de celles du principal parti de droite, le FIDESZ, contre le gouvernement de coalition socialiste et social-libéral.

En Grèce, le général Ioannis Metaxas. ennemi de la république libérale établie en 1917, avait créé un mouvement d’extrême droite en 1923. Suite à un plébiscite contesté, le roi Georges II revient sur le trône en 1935 et, en 1936, nomme Metaxas premier ministre. Prenant prétexte de l’agitation sociale, Metaxas déclare l’état d’urgence, suspend le Parlement et la Constitution. Le 4 août 1936 il établit une dictature fasciste, avec une idéologie fortement nationaliste. Le roi conserve le trône mais est désormais privé de pouvoir. Metaxas interdit les partis politiques et censure les médias.

Il crée ensuite une police politique (la Asfalia) qui devint toute-puissante. La gauche (communistes, archeiomarxistes (socialistes révolutionnaires) et socialistes) subit une répression brutale. Près de 30,000 personnes furent arrêtées et torturées pendant les cinq ans de la dictature.

Les syndicats sont placés sous le contrôle du gouvernement et les grèves sont déclarées illégales, mais en même temps des réformes sociales sont mises en œuvre: salaire minimum, assurances sociales, protection de la maternité, la semaine de travail de 40 heures, deux semaines de vacances par an, etc.
La Grèce fasciste ne rejoint pas l’Axe Berlin-Rome: Metaxas craignait l’expansionnisme italien en Méditerranée et, quand la guerre éclata en septembre 1939, la Grèce déclara sa neutralité. Cependant, en octobre 1940, Mussolini envoya un ultimatum exigeant l’occupation par l’armée italienne de points stratégiques en Grèce et, devant le refus de Metaxas, envahit la Grèce à partir de l’Albanie, déjà occupée en 1939. Contre toute attente, l’armée grecque arrive non seulement à résister mais refoule les troupes italiennes en Albanie. La guerre s’enlise sur le front albanais jusqu’à l’intervention de l’armée allemande en avril 1941 – la Grèce est alors occupée par l’armée allemande jusqu’en octobre 1944. Metaxas meurt à Athènes, de maladie, en janvier 1941.

L’idéologie fasciste de Metaxas connaîtra un retour pendant la dictature des colonels de 1967 à 1973. Autre héritage de Metaxas: le contrôle de l’Etat sur le mouvement syndical. En effet, les syndicats tirent l’essentiel de leurs ressources non des cotisations de leurs adhérents, mais d’un fonds administré par l’Etat, auquel tous les salariés, syndiqués ou non, contribuent obligatoirement. L’Etat reverse ensuite une partie de ce fonds aux confédérations syndicales; le fonds sert aussi à financier des œuvres sociales. Ce système, inventé par Metaxas en 1938, a été maintenu en place par tous les gouvernements qui se sont succédés après la guerre, y compris les gouvernements socialistes (PASOK). Il explique à la fois l’extrême politisation du syndicalisme grec, et sa faiblesse sur le terrain.

En Yougoslavie le fascisme prend le pouvoir à la suite de l’invasion et l’occupation allemande en avril 1941. En Croatie Ante Pavelič, fondateur du parti des Oustachis en 1929, devient le chef d’un Etat fasciste allié à l’Axe, mais divisé en zones d’occupation allemande et italienne. Cet Etat se distingue par ses massacres: d’abord de la population serbe de religion orthodoxe, sommée de se convertir au catholicisme ou périr (entre 330,000 et 390,000), ensuite juive (près de 26,000) et tsigane (40,000), notamment dans le camp de concentration de Jasenovac, où périrent également 12,000 Croates antifascistes. L’Etat fasciste croate envoya une division, intégrée aux Waffen SS, combattre sur le front russe. En 1945 Pavelič s’enfuit en Autriche, puis à Rome, et enfin, avec l’aide de la hiérarchie vaticane, en Argentine, où il reçoit la protection de Juan Perón, qui protège également d’autres réfugiés nazis et fascistes européens. En 1957 il fit l’objet de deux tentatives d’assassinat, probablement commanditées par les services secrets yougoslaves. Découvert, il fut forcé une nouvelle fois de fuir pour éviter l’extradition. Il se réfugia en Espagne franquiste, où il mourut en 1959, des suites de ses blessures.

En Serbie, un régime collaborationniste s’installe sous la direction du général Milan Nedič à partir d’août 1941. Nedič n’est pas un fasciste idéologique, il se présente plutôt comme un dictateur militaire allié aux Allemands pour des raisons d'”intérêt national”, comparable à Pétain en France ou à Antonescu en Roumanie. Néanmoins, sous le régime de Nedič, une police et une “Garde nationale serbe” est organisée sous contrôle allemand, qui combat les partisans communistes.

La Serbie participe à la Shoah et au génocide des Tsiganes, avec ses mesures antisémites et ses propres camps d’extermination. En 1942 les autorités d’occupation proclament que la Serbie était “judenfrei” (“libre de Juifs”). Plus de 20,000 juifs périrent en Serbie.

Parmi les collaborateurs dans la société serbe, l’exemple le plus extrême est Dimitrije Ljotič, fondateur d’un parti fasciste en 1934, le Zbor. Ljotič met sur pied sa propre milice, le “Corps de volontaires serbes”, qui rivalise avec la “Garde” de Nedič et appuie directement l’armée allemande dans la guerre contre les partisans.

En octobre 1944, le gouvernement Nedič s’effondre alors que Belgrade est libérée par les partisans de Tito. Nedič s’enfuit en Autriche, où il est arrêté par l’armée britannique et livré en janvier 1946 au gouvernement yougoslave. En février 1946 Nedič se suicide, échappant ainsi au procès qu’on lui préparait à Nuremberg.

On retrouvera l’héritage idéologique fasciste, autant serbe que croate, dans les guerres de Yougoslavie des années 1990.

Suite à l’occupation et le démantèlement de la Tchécoslovaquie en 1939, un Etat clérico-fasciste est créé en Slovaquie sous la présidence de Monseigneur Jozef Tiso. Le Parti populaire slovaque, séparatiste et clérical, fondé en 1913 dans l’Empire Austro-Hongrois sous la présidence d’un autre prêtre, Andrej Hlinka (mort en 1938), était proclamé parti unique, mais était divisé en une aile corporatiste, comparable aux chrétiens-sociaux autrichiens de Dollfuss, et une aile pro-nazie, organisée dans une formation para-militaire, la Garde de Hlinka. La Slovaquie fasciste participa à la guerre sur le front russe et à l’extermination des juifs: les trois quarts de la population juive furent déportés et périrent dans les camps d’extermination nazis. Alors que l’armée soviétique avance en Slovaquie, Tiso s’enfuit en Allemagne où il est arrêté par les Alliés et livré pour être jugé au gouvernement tchécoslovaque. Il est condamné pour haute trahison et exécuté en avril 1947.

Le pays qui aura fourni le plus grand nombre de collaborateurs et de militaires pour combattre aux côtés de l’armée allemande est l’URSS. Environ un million de citoyens de l’URSS s’enrôlèrent dans des unités sous contrôle allemand, la plus importante étant l’Armée de libération de Russie (ROA) commandée par Andrei Vlasov, général de l’armée soviétique fait prisonnier par les Allemands en juillet 1942, ensuite rallié au camp allemand. En 1944 Vlasov crée le Comité pour la libération des peuples de Russie, qui adopte un programme politique en 14 points, le Manifeste de Prague. Vers la fin de la guerre, Vlasov essaie de se rendre aux Alliés occidentaux; et en mai 1945 la 1ère division de la ROA aide la résistance tchèque à libérer Prague et à repousser les Waffen SS envoyés pour soumettre la ville. Vlasov et ses troupes sont cependant extradés de force aux Soviétiques. En août 1946 Vlasov et onze de ses généraux sont jugés à Moscou et pendus. Les soldats de la ROA sont envoyés au goulag pour un minimum de dix ans.

Plusieurs partis fascistes russes s’étaient créés dans l’émigration blanche dans les années 1930, en Allemagne, en Mandchourie et aux Etats-Unis. La Fédération nationale du travail (NTS) avait été fondé par un groupe d’émigrés russes à Belgrade en 1930. Le NTS avait une idéologie corporatiste, le “solidarisme”, voisine de l’austro-fascisme ou du salazarisme portugais, et cherchait à créer un mouvement de résistance en URSS. Un certain nombre de ses dirigeants collaborèrent avec l’Allemagne nazie et le mouvement de Vlasov, alors que le NTS était interdit et ses adhérents emprisonnés. Après la guerre, la CIA américaine le prit en charge. Ses opérations en URSS étaient des échecs; une tentative d’infiltration du syndicat indépendant SMOT dans les années 1980 était en fait une manipulation du KGB. L’influence du NTS s’exerça surtout par sa maison d’édition Posev à Francfort, qui publia aussi des écrits de la dissidence soviétique. Posev publie actuellement à Moscou.

En Pologne le Parti National-Démocratique fut fondé en 1893 par Roman Dmowski, un théoricien ultra-nationaliste, anti-sémite et social-darwiniste. Ce mouvement fut connu comme endecja, par ses initiales polonaises (ND). Dans la Deuxième République (1918-1939) un militant de la endecija assassina le premier président démocratique, Gabriel Narutowicz, en 1922. La endecja combattit la gauche, et surtout le général Pilsudski, issu du parti socialiste PPS, “dictateur démocratique” de 1926 à 1935. Une partie de la jeunesse de la endecja constitua une organisation de combat, le Camp National Radical (ONR) en 1934, avec uniforme et salut fasciste, qui s’illustra surtout par ses exactions anti-sémites. Sous l’occupation allemande et soviétique, la endecja constitua une petite formation militaire, les “Forces armées nationales” (NSZ), qui combattit l’occupant mais aussi d’autres formations de la résistance, notamment les communistes et les unités de partisans juifs.

L’idéologie de la endecija se retrouve au Parti Droit et Justice des frères Kaczynski, au gouvernement depuis 2005, et surtout à la Ligue des familles polonaises de Roman Giertych, parti d’extrême-droite, membre de la coalition goujvernementale de 2005 à 2007.

Dans les autres pays européens le fascisme ne parviendra pas à créer des partis de masse. Plusieurs mouvements fascistes se créent en France, notamment la Cagoule et le Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR), le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot (1936), transfuge communiste, ou le Rassemblement national populaire de Marcel Déat, transfuge de la SFIO. Ces organisations, parmi d’autres, fourniront les cadres du gouvernement de Vichy et de la collaboration. Une partie des milieux plus conservateurs du fascisme français rejoindront la Résistance par nationalisme.

Un groupe de syndicalistes socialistes de la CGT, liées à la tendance pacifiste de la SFIO dont le chef fut Paul Faure, secrétaire du parti de 1920 à 1940, rejoint la collaboration. Son principal représentant fut René Belin, qui devient Ministre du Travail de Pétain de juillet 1940 à avril 1942. Il est l’auteur de la Charte du Travail, un corporatisme à la française qui doit unir patrons et travailleurs, et dissout les confédérations syndicales en novembre 1940. Quelques jours plus tard, douze dirigeants syndicalistes de la CGT et de la CFTC dissoutes publient une déclaration des “Principes du syndicalisme français” réaffirmant le syndicalisme libre: c’est l’acte fondateur du syndicalisme français dans son opposition à Vichy. A la Libération, Belin est traduit en justice mais mis hors cause par un arrêt de la Haute Cour pour s’être opposés à certaines exigences de l’occupant. Il est cependant exclu des organisations dont il faisait partie avant la guerre.

En novembre 1944, un congrès extraordinaire de la SFIO reconstituée exclut les 95 parlementaires qui en julllet 1940 avaient voté les pleins pouvoirs à Pétain, dont Paul Faure, qui crée alors le Parti socialiste démocratique . Le PSD continue la tradition de la droite pacifiste de la SFIO, née en juilllet 1937 pour s’opposer aux partisans de l’intervention en Espagne, et regroupe les anciens militants socialistes et syndicalistes qui s’étaient compromis dans la collaboration, dont René Belin. Certains militants du PSD seront actifs dans le syndicalisme “indépendant” d’extrême-droite (CGSI et CTI). Le parti disparaît vers la fin des années 1950.

En Belgique le Rexisme de Léon Degrelle représente le fascisme dans la partie wallonne, le Vlaamsch Nationaal Verbond (VNV) dans la partie flamande. Aux Pays-Bas, la Nationaal-Socialistische Beweging (NSB) de Anton Mussert (1931) est le seul parti autorisé sous l’occupation. En Norvège, le major Vidkun Quisling crée le Nasjonal Samling en 1933 sur le modèle du NSDAP. Il sera chef du gouvernement en 1942 sous l’occupation et son nom restera synonyme de traître et collaborateur. Toutes ces organisations, marginales et sans soutien populaire de masse, seront surtout des forces supplétives exécutant les basses œuvres de l’occupant nazi et recruteront des volontaires pour combattre sur le front russe dans des unités de la Waffen SS.

Des groupements fascistes ont aussi existé, surtout dans les années 1930, dans d’autres pays européens (Grande-Bretagne, Irlande, Finlande, Suède, Danemark, Pays Baltes) mais sont restés marginaux.

Le cas de la Suisse
En Suisse le fascisme italien rencontre de fortes sympathies dans la droite libérale. Georges Rigassi, rédacteur de la Gazette de Lausanne, et Gonzague de Reynold, comptent parmi ses sympathisants. En 1937, l’université de Lausanne, avec l’accord du Conseil d’Etat, confère à son ex-étudiant Mussolini un doctorat honoris causa pour avoir réalisé “une organisation sociale qui a enrichi la science sociologique”.
Pourtant une tentative de constituer un parti fasciste au Tessin se heurte à la résistance de la gauche du Parti radical et surtout du PST, dirigé par Guglielmo Canevascini, Conseiller d’Etat, qui organise une milice socialiste et anti-fasciste “Liberi e Svizzeri” et soutient activement la résistance socialiste en Italie.

Au Tessin, le fascisme restera marginal.

C’est à Genève que les admirateurs du corporatisme mussolinien, et surtout de l’austro-fascisme clérical, arrivent à créer des institutions. Les syndicats chrétiens de Genève, qui s’appellent alors “Fédération genevoise des syndicats chrétiens et corporatifs” (FGSCC), dont le secrétaire est Henri Berra, ont une idéologie cléricale et fasciste. Ils constituent le groupe des Jeunes travailleurs qui défile en chemise verte et intervient souvent aux côtés des troupes de l’Union Nationale. En janvier 1933 sort le premier numéro de la Liberté syndicale, journal de la FGSCC, avec des dessins de Noël Fontanet, qui illustrent également Le Pilori, journal de l’UN. Les affrontements avec syndicats de l’USCG sont violents, surtout avec les anarchistes de la FOBB de Lucien Tronchet.

Ce sont les syndicats chrétiens qui prennent l’initiative de proposer au patronat genevois de constituer ensemble des corporations. C’est ainsi que naît en 1928 le Groupe patronal interprofessionnel, qui constitue avec les syndicats chrétiens la Fédération genevoise des corporations. La Fédération crée des œuvres sociales, mais fournit aussi des briseurs de grève au patronat. En 1938, le mouvement corporatiste rassemble 12 000 adhérents et 1150 patrons, répartis en 34 associations professionnelles.
A la fin de la guerre, l’idéologie corporatiste est discréditée et le patronat a constaté que le corporatisme n’a pas résolu ses problèmes avec les syndicats. D’autre part, les syndicats chrétiens commencent une mutation idéologique, sous l’influence de la CFTC française issue de la Résistance. La Fédération genevoise des corporations disparaît “sans bruit” en 1946. Sa composante patronale poursuit son activité sous un nouveau nom: la Fédération des syndicats patronaux, par la suite Fédération des entreprises romandes – Genève.

Pour ce qui est des autres mouvements fascistes en Suisse, le site d’histoire Cliotexte donne les informations suivantes:

“Depuis 1930 apparaissent plusieurs mouvements appelés “Fronts”. Les “Fronts” introduisent des marches avec drapeaux et uniformes, le salut avec la main levée, des marches aux flambeaux. Ils perturbent les réunions des autres courants politiques, mais également des représentations de théâtre ou de cinéma. Issus des milices bourgeoises nées durant la grève générale et stimulés par les succès du fascisme et du nazisme en Italie et en Allemagne, ils trouvent leurs adhérents dans la classe moyenne indépendante et chez les paysans, et sont souvent menés par de jeunes universitaires et des étudiants.
Ces “Fronts” sont dans un premier temps salués comme des partenaires bienvenus par une partie conservatrice de la bourgeoisie. C’est le cas en particulier dans les cantons où la gauche est au pouvoir, comme à Zurich et à Genève: en 1933, lors des élections communales à Zurich, le Front national s’allie avec les radicaux; à Genève, lors des élections de 1933, les partis bourgeois font alliance avec l’Union nationale, née en 1932 et dirigée par Georges Oltramare. Cependant, les partis bourgeois finissent par se rendre compte que les “Fronts” leur prennent des voix à eux, et non aux socialistes comme ils l’avaient espéré. Ils constatent également ce que font les nazis en Allemagne. Cela a pour conséquence que, dès 1934 (1936 à Genève), les partis bourgeois prennent de la distance, et que les “Fronts” sont isolés. Leur essai de percée sur le plan national échoue en 1935.”

Mauro Cerutti, dans son article sur le fascisme dans la Dictionnaire historique de la Suisse, écrit:
“En 1933, après la victoire de Hitler et la naissance des fronts, la Fédération fasciste suisse voit le jour. Arthur Fonjallaz, colonel vaudois discrédité mais à l’ambition politique intacte, en est le chef. Il est parvenu à nouer des relations directes avec Mussolini. Le duce le reçoit à quinze reprises au moins et lui octroie plus de 600 000 francs de subsides. Son aide financière vise à freiner aussi bien le développement du socialisme en Suisse, que celui du frontisme, perçu à Rome comme une émanation du nazisme. Le mouvement de Fonjallaz, qui se borne à proposer pour la Suisse les recettes appliquées en Italie, n’obtient qu’un très faible écho …

“L’Union Nationale de Genève (UN), dont Georges Oltramare est le chef unique à partir de 1935, est le mouvement suisse qui s’est le plus rapproché du modèle fasciste. Elle dispose d’une organisation hiérarchisée, militarisée, et a pour devise: “une doctrine, une foi, un chef”. Elle comptera jusqu’à 2000 membres en 1937. Alliée des partis bourgeois dans la lutte contre le gouvernement Nicole (1933-1936), elle obtient dix sièges au Grand Conseil genevois lors des élections de 1936. Oltramare bénéficie de l’aide et des subsides du dictateur italien. Mussolini cherche à en faire son allié à Genève contre la Société des Nations lors de la guerre italo-éthiopienne et de l’affaire des sanctions. En mai 1937, Oltramare effectue un spectaculaire voyage à Rome, où il est reçu par le duce avec un groupe de militants. Après l’échec d’un projet de fusion entre l’UN et le Parti démocratique (libéral), Oltramare quitte en 1939 le mouvement qui périclite.”

“Lorsque l’Italie entre en guerre, tous les mouvements suisses d’inspiration fasciste se sont désintégrés …”

En dehors de l’Europe
Le fascisme est un phénomène essentiellement européen, mais il a servi de modèle ou d’inspiration à des mouvements semblables dans d’autres parties du monde.

Amérique latine
Le cas le plus important, et en même temps le plus complexe, est celui de l’Argentine, où le colonel Juan Domingo Perón, élu président en 1946, lança le mouvement “justicialiste”, communément appelé “péronisme”, qui a dominé la vie politique argentine depuis.

Perón, en poste diplomatique en Allemagne et en Italie dans les années 1930, était inspiré par leur modèle totalitaire mais aussi par le corporatisme catholique de Salazar. Nommé secrétaire au travail du gouvernement militaire issu du putsch de 1943, Perón en profite pour se construire, par des réformes sociales, une base ouvrière, essentiellement composée par des immigrants affluant dans les centres urbains.

Les syndicats anarchistes, durement réprimés à partir de 1930, socialistes et communistes, représentaient avant tout l’immigration européenne (surtout espagnole et italienne) déjà ancienne et n’arrivaient pas à organiser cette nouvelle masse immigrée des régions rurales.

Perón crée le Parti travailliste, remplacé en 1947 par le Parti justicialiste avec une idéologie hybride baptisée “troisième voie” (entre le capitalisme libéral et le communisme soviétique) faite de corporatisme, d’autoritarisme, de réformisme social, de nationalisme (anti-américain et anti-anglais), d’anti-marxisme, d’antisémitisme (pour préserver la religiosité chrétienne).

Perón relance la CGT, centrale ouvrière à l’origine socialiste, mais en veilleuse; elle devient rapidement la centrale unique sous son contrôle, avec des syndicats uniques par branche de production. Soutenue par l’Etat, elle passe de 80,000 membres en 1943 à 1.5 millions en 1947 et à 6 millions en 1955. Les syndicats indépendants de gauche sont acculés à la disparition, la gauche politique est durement réprimée, la répression n’était pas seulement l’affaire de la police mais aussi la tâche des organisations péronistes para-policières. Les grèves sont interdites.

Le gouvernement péroniste consolide son emprise sur la classe ouvrière par des réformes importantes qui comblent un déficit social accumulé, notamment l’instauration de la journée de huit heures, la semaine de quarante huit heures, les congés payés, l’indemnité des licenciements, le treizième mois, la construction des logements à prix modérés et surtout l’éligibilité et le vote accordé aux femmes. Les syndicats sont chargés de gérer des œuvres sociales (cliniques, loisirs, tourisme, logements, etc.), financés par des cotisations retenues à la base par l’employeur. Le statut de l’ouvrier agricole permit pour la première fois à l’Etat de pénétrer dans le secteur rural.

Perón est chassé du pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1955 soutenu par l’oligarchie foncière et la bourgeoisie financière qui se considéraient trahies par le régime péroniste. Il doit s’exiler (en Espagne franquiste), mais est rappelé par le président peroniste Héctor José Cámpora, élu en mars 1973. Cámpora démissionne en juillet, et Perón est élu en octobre 1973 pour la troisième fois. Il restera président jusqu’à sa mort en 1974. Il est succédé par sa veuve Isabel Martínez de Perón, elle-même renversée par le coup d’Etat militaire de 1976.

Contrairement aux dictateurs fascistes qui lui servirent de modèle au départ, Perón a toujours été élu par des grandes majorités. Le mouvement ouvrier, brisé dans les dictatures fascistes, doit son essor au péronisme – à condition de s’en émanciper, émancipation qui est aujourd’hui en bonne voie. L’opposition politique, même réprimée, arrivait à se manifester, et le régime péroniste ne fit pas les 30,000 morts de la dictature militaire qui lui a succédé.

Le mouvement péroniste, hétérogène, a été traversé par des crises graves, et des affrontements entre sa gauche et sa droite qui ont pris, dans certains cas, la forme de règlements de compte sanglants de type mafieux. L’étiquette péroniste a recouvert, et recouvre encore, des contenus politiques opposés, allant de l’extrême-gauche au néo-libéralisme. Dans ce sens aussi, on ne peut affirmer sans autre nuance que le régime péroniste était fasciste. Le gouvernement actuel, sous la présidence de Nestor Kirchner, péroniste, ressemble le plus à une social-démocratie centre-gauche.

Sous la première présidence de Perón, l’Argentine servit cependant de refuge à un grand nombre de dirigeants nazis (entre autres Adolf Eichmann, organisateur de la Shoah) et de dirigeants fascistes d’autres pays européens, notamment des Oustachi croates et de la Garde de Fer de Roumanie.

Au Brésil le coup d’Etat de Getulio Vargas en 1937 instaure une dictature corporatiste sur le modèle portugais, Estado Novo. Vargas instaure des réformes sociales tout en supprimant les droits démocratiques. Les partis politiques sont interdits, le syndicalisme devient obligatoire sous le contrôle de l’Etat.

En 1938 une tentative de coup d’Etat de “l’Action intégraliste brésilienne”, parti fasciste fondé en 1932, plus radical que le “gétulisme”, échoue. Des groupuscules se réclamant de ce parti existent encore mais marginalement.

Vargas est renversé par un soulèvement démocratique en 1945, mais revient, élu démocratiquement, en 1951. N’arrivant pas à maîtriser la crise économique, il perd le soutien de la bourgeoisie et des militaires. Acculé à la démission, il se suicide en 1954.

Des groupes d’inspiration fasciste et nazie ont existé dans plusieurs pays d’Amérique latine depuis les années 1930 et leurs héritiers ont souvent servi d’auxiliaires aux dictatures militaires des années 1970. Le plus connu d’entre eux, Patria y Libertad au Chili, a été un groupe terroriste lié à la mouvance néo-nazie, très actif dans la campagne de déstabilisation du gouvernement socialiste de Salvador Allende et dans la répression qui a suivi.

Pays arabes: le fascisme est l’une des sources d’inspiration des mouvements nationalistes arabes qui se développent après la première guerre mondiale et la chute de l’Empire ottoman, autant dans leur expression laïque que sous une forme religieuse (islamique).

Le Parti Ba’as (ou Parti de la renaissance arabe), fondé par Michel Aflak à Damas en 1947 est un parti nationaliste autoritaire qui intègre des éléments de socialisme. En 1953 il fusionne avec le Parti Socialiste Arabe d’Akram Hourani et devient le “Parti de la Résurrection Arabe et Socialiste”. Anti-marxiste mais laïque, il aspire au “grand bouleversement” pan-arabe mais se scinde en deux branches syrienne et irakienne, fondements idéologiques des dictatures de Hafez Al-Assad et de Saddam Hussein, où le Ba’as devient parti unique. Les syndicats sont regroupés dans des centrales uniques qui sont des courroies de transmission de l’Etat. Les organisations de gauche de toutes tendances sont durement réprimées.

En Egypte, le nasserisme, idéologie créée par Gamal Abdel Nasser, président de 1954 jusqu’à sa mort en 1970, rappelle le péronisme par son mélange d’autoritarisme, de nationalisme et de réformes sociales.

Les partis politiques autorisés sont étroitement surveillés par le pouvoir, le parti du gouvernement est un parti unique de fait, les communistes et socialistes indépendants interdits. Les syndicats existants sont remplacés par une centrale unique contrôlée par l’Etat. Une alliance éphémère entre le Ba’as syrien et l’Egypte de Nasser donne lieu à la République arabe unie (1958-1961).

Autant l’Egypte de Nasser que la Syrie ba’asiste ont servi de refuge à des dirigeants nazis, notamment Alois Brunner, responsable de la déportation de juifs d’Autriche, de Grèce et de France vers des camps d’extermination. Brunner s’établit à Damas et devient conseiller du gouvernement syrien en matière de répression politique.

Pendant la deuxième guerre mondiale, des dirigeants politiques arabes s’allièrent avec l’Allemagne nazie. Ce fut notamment le cas, dans la Palestine mandataire (sous mandat britannique), de Amin Al-Husseini, Grand Mufti de Jerusalem. En 1939, il fut exilé par les autorités britanniques et se réfugia en Allemagne nazie avec laquelle il collabora activement jusqu’à la fin de la guerre. Il approuva l’extermination des Juifs et reçut la promesse d’Hitler qu’elle serait étendue à l’Afrique du Nord et à la Palestine après la conquête nazie. En 1943 il recruta des bataillons de volontaires musulmans bosniaques et albanais qui seront intégrés dans la Waffen SS. Il est le dirigeant politique du camp palestinien pendant la guerre de Palestine de 1948. Suite à la défaite des armée arabes, il s’exile en Egypte où il meurt en 1974.

En Irak, Rachid Ali Al-Gaylani, dirigeant politique pro-allemand, prend le pouvoir par un coup d’Etat en 1941 et s’allie avec l’Axe. Il est évincé par une intervention militaire britannique et se réfugie à Berlin, où Hitler le reconnaît comme chef d’un gouvernement irakien en exil. Après la défaite de l’Allemagne, il trouve refuge en Arabie saoudite.

Le mouvement sioniste, existant sous une forme organisée depuis 1897, année de fondation de l’Organisation sioniste mondiale (OSM) , réunit des organisations de toutes tendances, mais est dominé les premiers 80 ans par son aile libérale alliée à sa gauche marxiste, social-démocrate (Achdut Avodah) et socialiste révolutionnaire (Poale Sion, Hachomer Hatzair). Cependant, un courant de droite nationaliste dirigé par Vladimir Jabotinski constitue le Parti révisionniste en 1925, autoritaire et pro-capitaliste, qui quittera l’OSM en 1935. Le terme “révisionniste” vient de la volonté des membres du nouveau parti de “réviser le sionisme”.

Le programme révisionniste vise à constituer l’Etat d’Israel sur l’ensemble de la Palestine mandataire (y compris la Jordanie) par la lutte armée. Il se donne trois ennemis: la gauche sioniste, les autorités britanniques (à partir de 1939) et la population arabe.

Une organisation de jeunesse, le Betar, fondée en 1923 à Riga, reconnaît Jabotinski comme son “guide” mais reste indépendante du parti. Elle représente l’extrême-droite du révisionnisme sioniste. Le Betar reprend certaines formes des mouvements fascistes: uniforme, culte du chef, entraînement paramilitaire.

Le Parti révisionniste et le Betar constituent une organisation armée, le Irgun (1931-1948) qui mène des actions terroristes contre les autorités britanniques et contre la population arabe. Le Irgun est dissout en 1948 après qu’un bateau, le Altalena, chargé de matériel militaire qui lui est destiné, est intercepté par l’armée israélienne sous commandement du gouvernement socialiste, et coulé au large de Tel-Aviv.

A partir de 1928 se constitue un courant fasciste dans le Parti révisionniste en Palestine mandataire, qui s’organise en 1931 sous la forme d’une association secrète et indépendante de la direction du parti, le Brit Ha’Birionim. Des dirigeants des Birionim ont été accusés d’avoir assassiné le dirigeant socialiste Haim Arlozorov en 1933 à Tel-Aviv, mais sont relâchés faute de preuves.

Les Birionim sont à l’origine de l’organisation terroriste Lehi (Groupe Stern), une scission de l’Irgun en 1941. Le Lehi cherche à s’allier successivement avec le gouvernement fasciste italien (en 1940) et avec le gouvernement allemand nazi (en 1941) en leur offrant une collaboration militaire contre le Royaume-Uni. L’Irgun et le Lehi sont d’autre part responsables du massacre de Deir Yassin en 1948, pendant la première guerre israelo-arabe (120 morts dans la population civile arabe), qui a contribué à la fuite de la population arabe de Palestine. Le Lehi est également responsable de l’assassinat du Comte Folke Bernadotte, médiateur des Nations Unies pour la Palestine, en septembre 1948. A la suite de cet assassinat, le Lehi est officiellement dissout au titre d’une loi “pour la prévention du terrorisme”. Après la dissolution de leurs organisations, les membres de l’Irgun et du Lehi sont intégrés dans l’armée régulière israélienne, où les membres de la Haganah, organisation militaire de la gauche sioniste, sont encore largement majoritaires.

En Israel le parti Herut, est le successeur du Parti révisionniste. Il est fondé en 1948 par Menachem Begin, dernier dirigeant de l’Irgun et ancien responsable du Betar en Pologne. Le Herut fusionnera avec d’autres groupements de droite pour former le Likud en 1973, parti qui deviendra majoritaire dans les élections de 1977, mettant fin à l’hégémonie de la gauche depuis la fondation de l’Etat. La plupart des dirigeants du Likud, et en partie du Kadima, notamment Ehud Olmert, premier ministre depuis 2006, ancien des jeunesses du Betar, proviennent de l’extrême-droite révisionniste.

Deux petits partis, le Moledet et le Kach, se situent à l’extrême-droite de l’éventail politique. Les deux préconisent l’expulsion de la population arabe de la bande de Gaza et des territoires occupés à l’ouest du Jourdain. Le Moledet (trois députés au Knesset (parlement) sur 120) a fait partie de coalitions gouvernementales de droite. Le Kach, groupuscule extra-parlementaire, a été interdit en 1994 par le gouvernement israélien au titre des lois anti-terroristes, et figure sur la liste des organisations terroristes du gouvernement des Etats-Unis.

Un autre parti d’extrême droite, Israel Beitenu (Israel notre maison), avec 11 sièges sur les 120 de la Knesset, créé en 1999, fait partie de la coalition gouvernementale depuis 2006: son chef, Avigdor Lieberman, est vice premier-ministre chargé des affaires stratégiques. Il se distingue par la violence de son langage et l’extrémisme de son programme (séparation radicale entre Juifs et Arabes par l’expulsion de ces derniers et l’annexion des parties de la Cisjordanie occupées par les colons juifs). Lieberman, né en Moldavie, a émigré en Israel en 1978 et son parti est surtout soutenu par l’immigration russophone récente. En septembre 2007, l’opinion israélienne a été choquée lorsque la police a découvert un groupe de jeunes néo-nazis, justement chez les immigrés russophones.

En Turquie le Parti d’action nationale (MHP) est un parti d’extrême-droite issu d’un parti nationaliste, le “Parti républicain national paysan” (CKMP) fondé en 1948. En 1965 le colonel Alparslan Türkeş (1917-1997) prend contrôle du CKMP qui devient le MHP en 1969. Il se donne comme référence idéologique le “touranisme” (nationalisme pan-turc qui vise l’unité politique de toutes les nations turcophones, de la Turquie en Asie centrale). Aux élections de 2007, le MHP obtient 14,3% du vote et 71 sièges au parlement (sur 550).

En 1993, le MHP subit une scission avec le départ d’islamistes qui estimaient que le parti était insuffisamment religieux. Ces derniers fondent un nouveau parti, le “Parti de la Grande Union” (BBP).

L’organisation des jeunesses du MHP, les “Loups gris” (Bozkurtlar), est une organisation paramilitaire et terroriste responsable, selon les autorités turques, de 694 assassinats de militants de gauche (enseignants, universitaires, syndicalistes, hommes politiques) pendant les “années de plomb” turques (1974-1980). Les Loups gris ont fait partie de réseaux clandestins manipulés par le pouvoir (essentiellement l’armée; ces réseaux sont connus en Turquie comme “l’Etat profond”) où ils travaillaient avec la police politique, la CIA et la mafia (notamment de la drogue) dans des opérations terroristes contre la gauche, les mouvements kurdes, etc. Un de leurs militants, Mehmet Ali Ağca, auteur de l’attentat contre le pape Jean-Paul II en 1981, est également l’assassin du journaliste Abdi Ipekçi, éditeur du journal libéral Milliyiet, en 1979. Selon certaines analyses , l’attentat contre le pape aurait fait parties de la “stratégie de tension” mise au point par des services spéciaux occidentaux, c’est à dire des opérations de déstabilisation d’un pays par le biais d’attentats “false flag”, c’est-à-dire mis sur le dos de la partie adverse – dans le cas du pape, le KGB et la “filière bulgare”.

Dans les années 1970 et 1980, les Loups gris sont envoyés en Europe occidentale pour infiltrer l’immigration turque et combattre l’influence des réseaux constitués par des réfugiés politiques de gauche. Leur activité mène à des affrontements et des règlements de compte sanglants. Ils sont actifs notamment en Allemagne (où des contacts ont été pris avec le NPD néo-nazi), en Belgique, en France, au Pays-Bas et en Suisse.

L‘Inde a été un terrain fertile pour une forme de fascisme fondé sur l’extrémisme hindou. Le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) (Association des volontaires nationaux), fondé en 1925, est un mouvement qui se donne pour but de rétablir la suprématie de l’hindouisme contre trois ennemis principaux: les musulmans, les chrétiens et les communistes. Face aux minorités religieuses, il exige leur soumission à l’hindouisme ou leur expulsion. Il s’oppose à la démocratie (“idéologie étrangère”) et à la constitution de l’Etat laïque adoptée par le Parti du Congrès lors de l’indépendance de l’Inde en 1947. Le RSS est organisé selon des principes autoritaires et ses militants reçoivent un entraînement militaire.

Le RSS a 4,5 millions de membres en une centaine d’organisations affiliées. Il est au centre d’une coalition, le Sangh Parivar (“famille d’associations”) qui comprend entre autres le Parti du peuple indien (BJP), une centrale syndicale, le BMS, une organisation internationale, le VHP, pour la propagande auprès des communautés indiennes à l’étranger, un réseau de centres d’éducation, une organisation de femmes, une organisation d’étudiants, et une organisation de jeunesse, le Bajrang Dal qui sont ses troupes de choc.

En 1948, son principal idéologue, M. S. Golwalkar, appelait à l’assassinat des dirigeants du Congrès. Six semaines après. Gandhi était assassiné par un ancien membre du RSS et le RSS était temporairement interdit à la suite de cet assassinat. Le RSS a encore été interdit deux fois: en 1975, lors de la l’état d’urgence déclaré par Indira Gandhi, et en 1993 lorsque ses militants organisèrent la démolition de la mosquée de Babour à Ayodhya, construite au 16ème siècle. Les émeutes qui suivirent firent plus d’un millier de morts.

Le BJP était le parti de gouvernement de 1998 à 2004, année où une coalition dirigée par le Congrès et appuyée par les partis communistes reprit le pouvoir. Il reste cependant au pouvoir dans plusieurs Etats fédéraux, notamment au Gujarat (Nord-Ouest de l’Inde). Le premier ministre du Gujarat, Narendra Modi, membre du RSS, appartient à la frange extrémiste du BJP.

En février 2002 un pogrom anti-musulman eut lieu à Ahmedabad, capitale de l’Etat, prenant prétexte de l’incendie d’un train transportant des pélerins hindous retournant de Ayodhya. Modi prétendit que des “islamistes” avaient mis le feu au train (une commission d’enquête du gouvernement central conclut en 2005 que l’incendie avait été accidentel). A partir de 10:30 heures le 28 février jusqu’au 2 mars, des milliers de nervis, emmenés par des militants du Sangh Parivar munis de téléphones mobiles et de listes d’adresses, mirent à sac les quartiers musulmans de Ahmedabad en massacrant les habitants. La police avait des ordres de Modi de ne pas intervenir. Le pogrom fit quelque 2000 morts; 98,000 musulmans, chassés de leurs habitations détruites, vivaient en 2007 encore dans des camps de réfugiés.

La “stratégie de la tension” de Modi s’avéra payante. En décembre 2002 le BJP triompha aux élections législatives du Gujarat (126 sièges sur 182).

Le Shiv Sena (“Armée de Shiva”) est une autre organisation hindouiste d’extrême-droite fondée en 1966 par le journaliste Bal Thackeray, grand admirateur d’Hitler. Le SS est influent dans l’Etat de Maharashtra (Bombay) où il est allié depuis les années 1970 au BJP. Il est responsable de pogroms anti-musulmans, de nombreuses attaques contre les syndicats de gauche et de l’assassinat, en 1970, de Krishan Desai, leader communiste du syndicat du textile. Le SS a créé sa propre organisation syndicale, le BKS, en fait une milice au service du patronat.

La dictature militaire qui détenait le pouvoir au Japon de 1932 à 1945 est parfois considérée comme fasciste. En fait, il s’agissait d’un régime autoritaire et ultra-nationaliste, fondé sur une interprétation mythique de l’histoire du Japon. Son alliance pendant la 2ème guerre mondiale avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste était plutôt circonstancielle et opportuniste que fondée sur une idéologie commune.
Cependant, certains théoriciens du militarisme ultra-nationaliste japonais avaient intégré des éléments du fascisme européen, notamment le principe du contrôle total de la société par des moyens policiers, la “police de la pensée” (surtout de 1941 à 1945).

En 1940, les organisations syndicales encore existantes étaient dissoutes et remplacées par une “Association industrielle patriotique”, sur le modèle du “Front du travail allemand” nazi. La liberté syndicale fut rétablie en 1945.

Une législation répressive contre la gauche socialiste, communiste et anarchiste existait depuis 1925 (“Loi pour la préservation de la paix”); elle fut durcie en 1941. Entre 1925 et 1945 plus de 70,000 personnes furent arrêtées sous cette législation, dont 10 pour cent furent condamnées aux termes d’un procès. Aucune peine de mort fut prononcée. En 1945, les autorités d’occupation américaines annulèrent la loi et les militants de gauche emprisonnés furent libérés.

Des groupuscules ultra-nationalistes et fascisants sont encore actifs, souvent violents et liés à des organisations mafieuses (yakuza), mais marginaux dans la vie politique.

L’organisation la plus ancienne, précurseur du fascisme, existe aux Etats-Unis: c’est le Ku Klux Klan (KKK), fondé en 1865 pour combattre l’émancipation des Noirs suite à la défaite des Etats Confédérés (du Sud) dans la guerre civile américaine (1860-61). A son origine, le KKK prône la suprématie des blancs anglo-saxons et protestants et, pour l’imposer, mène des campagnes d’intimidation et de terreur. Il est responsable de nombreux assassinats et de lynchages de Noirs et de Blancs qui les soutiennent.
Réprimé par le gouvernement, il se met en veilleuse, mais est relancé au début du 20ème siècle sur une plateforme raciste, xénophobe, anti-sémite, anti-catholique et, bien entendu, anti-gauche et anti-syndicaliste. A son apogée, dans les années 1920, il a près de 5 millions de membres et exerce une influence politique non négligeable.

Le KKK disparaît en tant qu’organisation nationale pendant la 2ème guerre mondale, mais subsiste sous la forme d’une nébuleuse d’organisations locales, souvent liées à des groupements racistes et néo-nazis plus récents.

Parmi ces groupuscules certains sont capables d’actes terroristes: un membre de la Michigan Militia, organisation paramilitaire clandestine, fit sauter le bâtiment abritant des administrations fédérales à Oklahoma City en 1995 (168 morts). D’autres, comme le National Socialist Movement, ont une existence légale et présentent des candidats aux élections.

Le principal danger qu’elles présentent n’est cependant pas en tant que organisations: comme telles, leur influence est quasiment nulle. Il réside surtout dans leur capacité d’alimenter la propagande néo-nazie (publications, vidéos, DVD, etc.) dans des pays d’Europe où cette activité est interdite (par exemple en Allemagne), puisque la Constitution des Etats-Unis garantit la liberté de parole et de publication à tous les courants d’opinion, quels qu’ils soient. (Le même problème se pose par rapport au Danemark).

Un autre danger, peut-être encore plus grave, en provenance de l’extrême-droite chrétienne et de mouvements ultra-nationalistes, telles que la John Birch Society, est leur influence croissante sur la droite du Parti républicain et sur l’administration Bush. Comme le disait l’écrivain Sinclair Lewis en 1935: “Quand le fascisme viendra en Amérique, il se présentera enveloppé dans le drapeau et brandissant la croix”.

Réflexions sur les fascismes
L’inventaire ci-dessus des pays et des mouvements n’est nullement exhaustif. On l’aura constaté: le fascisme est multiforme, et pratiquement aucune société moderne, dans touts les régions du monde, n’y a échappé.

Multiforme: parfois lié aux Eglises chrétiennes (Autriche, Croatie, Slovaquie, Roumanie), parfois athée, ou adepte de mythes pseudo-religieux (Allemagne, Hongrie, Turquie, Inde, Japon); se présentant parfois comme porteur d’une révolution sociale (en Allemagne et Italie à ses débuts), parfois conservateur ou réactionnaire (Portugal, Espagne); souvent anti-sémite, mais il existe un fascisme juif, et il existe d’autres racismes; dans la 2ème guerre mondiale, allié avec l’Axe (les pays satellites et la collaboration en Europe), mais aussi résistant (Grèce, Pologne, certains éléments des Croix-d-Feu et de l’Action française en France).

Une définition commune est-elle possible? L’historien américain Robert O. Paxton écrit: “C’est par une définition fonctionnelle du fascisme que l’on peut sortir de ces multiples embarras.”

D’abord, il faut distinguer les étapes du fascisme dans le temps. Paxton cite Pierre Milza qui distingue trois étapes: “un premier fascisme, celui des mouvements marginaux d’intellectuels dissidents de droite ou de gauche; le deuxième fascisme, celui des militants engagés sur les chemins du pouvoir; et un troisième fascisme, celui qui exerce le pouvoir.”

Ensuite, élément indispensable, la complicité des élites conservatrices, essentiellement le patronat et l’armée. Paxton fait remarquer que ni Hitler ni Mussolini ne sont arrivés au pouvoir par la force: “Ils ont été invités à partager le pouvoir par le chef de l’Etat, conseillé par ses intimes, dans des circonstances bien précises: un blocage du gouvernement constitutionnel (produit en partie par la violence des fascistes) ; des conservateurs menacés par la perte de leur capacité d’encadrer la population, souvent à un moment de grande mobilisation populaire; une gauche en progrès; des conservateurs qui refusent de collaborer avec cette gauche, et qui se croient incapables de continuer de gouverner sans renfort.”

Paxton cite ailleurs une résolution de l’Internationale communiste de 1924: le fascisme est “l’instrument de la grande bourgeoisie pour lutter contre le prolétariat quand les moyens légaux mis à sa disposition par l’Etat s’avèrent insuffisant à le soumettre”.

Quel est alors l’instrument nécessaire pour “soumettre le prolétariat”? Il faut d’abord abolir l’Etat de Droit, c’est à dire, comme le dit l’historien français Marc Bloch , abolir la “cité que gouvernent les lois” et appeler au pouvoir la “tribu qu’une passion collective soude à son chef.”

Selon Paxton, les passions mobilisatrices qui soudent une tribu fasciste à son chef sont les suivantes:

• la primauté de la communauté , envers laquelle les devoirs sont supérieurs à tout droit, soit universel, soit individuel;
• un sentiment que la communauté est victime, qui justifie tout recours contre ses ennemis, intérieurs autant qu’extérieurs;
• un pressentiment de décadence de la communauté, minée par la gauche individualiste et cosmopolite;
• comme remède à cette décadence, l’encadrement de la population en un fascio, ou faisceau, où l’unité des âmes est forgée par une conviction commune, si c’est possible, et par la force si c’est nécessaire;
• un sens de l’identité où la grandeur de la communauté vient renforcer l’identité individuelle;
• l’autorité du chef, seule structure politique capable d’incarner le destin de la communauté;
• la beauté de la violence et de la volonté, quand elles sont dévouées au succès de la communauté dans une lutte darwinienne.

“Le fascisme est, donc, un système d’autorité et d’encadrement attelé à un style d’appartenance à une communauté. Il forme un tout qui se comprend mal à la seule lecture de ses paroles. Il faut l’observer dans la vie quotidienne, en faisant appel à toutes les sciences sociales et, puisqu’il n’est pas immuable, il faut le comprendre dans son développement”.

Paxton conclut par une réflexion sur le fascisme d’aujourd’hui:

“Pour conclure, je ne peux pas me dérober à la question brûlante du moment: le fascisme existe-t-il encore aujourd’hui, malgré l’échec humiliant de Hitler et de Mussolini? Après les incidents du nettoyage ethnique dans les Balkans, après la montée de nationalismes exclusivistes dans l’Europe orientale post-communiste, après l’essor du néonazisme en Allemagne et en Italie, et après l’entrée au gouvernement italien du signor Tremaglia, un ancien de la république de Salò, il serait difficile de répondre non à cette question.

“Mais les cas actuels les plus intéressants ne sont pas ceux où de vieilles chemises ressortent des placards. Il faut se souvenir avec George Orwell que les fascismes authentiques viennent vêtus des symboles patriotiques de leur propre pays. Un fascisme authentique aux États-Unis serait pieux et anti-Noirs; en Europe occidentale, laïc et antisémite, voire anti-musulman; et en Europe de l’Est, religieux et slavophile. Le décor dépend de la culture locale. Il vaut mieux prêter attention aux fonctions remplies par ses nouveaux mouvements, et aux circonstances qui pourraient leur ouvrir un espace, plutôt que d’y chercher les traces de la rhétorique, les programmes et les préférences esthétiques des premiers mouvements fascistes de 1900.

“Le bon questionnaire est celui qui est approprié pour les deuxième et troisième étapes du développement des fascismes: est-ce que ces mouvements promettent de redonner de l’unité, de l’énergie, et de la pureté à une communauté qui se sent menacée par la décadence et par l’humiliation? Est-ce qu’ils sont prêts à faire n’importe quoi pour tenir cette promesse? Est-ce que le système constitutionnel est grippé? Une mobilisation populaire rapide échapperait-elle aux capacités d’encadrement des élites traditionnelles, au point où celles-ci seraient tentées d’avoir recours aux durs? C’est en répondant à de telles questions, et non pas en observant la couleur des chemises, ni en cherchant une correspondance quelconque avec la rhétorique des dissidents syndicalo-nationalistes de la fin du 19ème siècle, que l’on pourra reconnaître les nouveau systèmes fascistes de notre époque.”