Léonide Pliouchtch (né 1939 – mort 4 juin 2015)

Leonide Pliouchtch est né en Asie centrale soviétique, où travaillait son père cheminot ukrainien qui sera tué par la Wermacht en 1941 quand Leonide etait deux ans. Le petit garçon grandit ensuite dans la paysannerie ukrainienne prés de sa grand-mère, puis comme brillant élève dans un sanatorium, ce qui fait de lui un jeune dirigeant, sincère et ambitieux, du Komsomolsk (jeunesses du PCUS) à Odessa au début des années 1960. Ce sont sa sincérité et son honnêteté intellectuelles qui vont progressivement faire de lui un dissident de premier plan.

Quand Yvan Dziouba, l’auteur d’ Internationalisme ou Russification, écrit que les locuteurs de l’ukrainien se font dire «Tu ne peux pas parler une langue d’être humain ?», il trouve qu’il exagère … jusqu’à ce que cela lui arrive personnellement. Il devient dés lors nationaliste ukrainien, en même temps qu’il rompt avec l’«antisémito-internationalisme» qui sévissait au Komsomolsk. Sa première grande bataille publique ukrainienne se fait en commun avec les Juifs, pour qu’un monument soit construit aux victimes de Babi Iar, à Kyiv, en 1966. Il épouse alors sa compagne, Tania, comme lui combattante et militante de l’émancipation humaine.

En 1968 Leonide Pliouchtch, mathématicien, joue un rôle central dans la «dissidence», dans le soutien au Printemps de Prague, l’organisation des Tatars de Crimée, et les riches débats du samizdat. Ayant eu connaissance par un vieux communiste moscovite d’écrits de Trotsky, Boukharine et de l’Opposition ouvrière, il retient le message du vieil homme en larmes – «Ne renie jamais Octobre» – et formule une analyse de la société soviétique selon laquelle les bureaucrates sont des voleurs mais pas des capitalistes, le capital existant cependant sous la forme de l’État, défini comme un capitaliste collectif et abstrait. Cette analyse le conduit à discuter avec pessimisme les positions d’Andreï Sakharov favorable au rapprochement URSS-Occident, Pliouchtch craignant une convergence à terme entre évolution capitaliste de l’URSS et évolution anti-démocratique de l’Occident. Il rencontre également de vieilles déportées socialistes-révolutionnaires en qui il fait revivre, dans le récit qu’il en a donné plus tard, la force de la vie, du rire et de la confiance morale en l’humanité et dans la nature.

Après avoir fortement contribué à organiser le Comité d’initiative pour la défense des droits de l’homme en URSS, Leonide Pliouchtch est arrêté en 1972 et pour cela qualifié de schizophrène par les médecins du KGB, soumis à la torture psychiatrique et à la promiscuité pendant trois années, porté au bord de la mort et de la folie. C’est alors qu’une campagne de solidarité internationaliste se développe en Europe occidentale, à l’initiative notamment du Comité des mathématiciens et du Comité International contre la Répression, structuré par des militants trotskystes de l’époque comme Jean-Jacques Marie et Michel Broué, et représenté par Laurent Schwartz. Cette campagne va arracher, un an après l’exil de Soljenitsine, la libération et l’exil de Leonide Pliouchtch et de sa compagne, officiellement échangé contre le dirigeant du PC chilien. Pliouchtch arrive en France en 1975 et fait parler de lui par son humour, son absence d’illusions sur les pays capitalistes, intervenant notamment au congrès de la FEN (Fédération de l’Éducation Nationale), et publiant ses mémoires en français, Dans le carnaval de l’histoire (Seuil, 1977). On put voir quelques temps en lui la réplique «de gauche» de Soljénitsine, mais ce ne fut finalement pas le cas.

Progressivement il ne fait plus parler de lui et demeure dans le Sud de la France. Le relatif silence de Leonide Pliouchtch depuis trente ans, s’il a des causes personnelles et privées inséparables de son existence ballottée et persécutée, symbolise en quelque sorte la lacune qui sépare la génération des combattants des années 1989-1991 et celle des années 2001-2004, puis aujourd’hui du Maidan et de l’Ukraine contemporaine, de leur passé, un passé dont il fut lui-même un passeur, un transmetteur. Il est resté fidèle jusque dans son silence au vieux communiste intègre lui disant de ne pas renier Octobre, et c’est en retrouvant toute la mémoire du combat démocratique, national, révolutionnaire et prolétarien de l’Ukraine au XX° siècle, dont il fut une des plus belles et tragiques figures.

Publié dans: Arguments pour la lutte sociale n°7 du 7 juin 2015