Ce qui est en train de se passer en Grèce ressemble comme deux gouttes d’eau à ce qu’avaient vécu de nombreux pays africains dans les années 1980-1990. Surendettés par l’irresponsabilité aussi bien de leurs dirigeants que de sociétés privées, ou d’institutions financières, le réveil fut rude. Les délégations du Fonds monétaire international (FMI) débarquèrent dans les capitales, prirent leurs quartiers dans les hôtels luxueux et les bureaux du Ministère des finances, et imposèrent leur modèle économique ultralibéral unique, exactement comme en Grèce. Depuis lors, ces pays n’ont plus jamais regagné le contrôle de leurs propres économies, pilotées depuis Washington par les petits génies de la finance mondialisée.Depuis lors, dans les capitales africaines, le ballet des délégations du FMI et de la Banque mondiale n’a plus jamais cessé. Les employés de ces institutions influencent toutes les décisions économiques, et gèrent ces pays à distance, sans aucun mandat électif, et sans avoir de comptes à rendre à personne, si ce n’est à leur institution. Leur principale préoccupation demeure que ces pays puissent rembourser leurs dettes, même si celles-ci sont «illégitimes». Et même si, à force de payer les intérêts, celles-ci ont déjà été remboursées plusieurs fois.
C’est dire si le «non» du peuple grec – consulté le 5 juillet dernier par voie de référendum sur un nouveau train de mesures d’austérité – a suscité de nombreuses réactions sur le continent faisant ressurgir les affres des années de plomb des «Programmes d’ajustement structurels», les fameux «PAS» pour les initiés. L’un des premiers à avoir réagi fut le président sénégalais Macky Sall, qui rappela que «ce que la Grèce subit aujourd’hui, nous, pays africains, nous l’avons subi il y a plusieurs années. Les politiques d’ajustement structurel ont fait des dégâts en Afrique, a-t-il rappelé, il y a eu beaucoup de sacrifices qui ont été faits par les Africains, et ils continuent à le faire».
«Athènes n’est ni Dakar ni Abidjan, mais le scénario grec est un exemple à méditer», a commenté de son côté l’intellectuel sénégalais Pierre Sarr sur le site d’information en ligne Senenews, tout en rappelant la fameuse devise de John Adams, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis: «Il y a deux manières de conquérir et d’asservir une nation: l’une est par les armes, l’autre est par la dette.» Même son de cloche chez l’enseignant-chercheur ivoirien Gervais Boga Sako, qui estime que «le ‘non’ grec au diktat des institutions de Bretton Woods est une inspiration pour l’Afrique». D’autres commentateurs n’hésitent pas à comparer le premier ministre Alexis Tsipras à Thomas Sankara, le président du Burkina Faso qui, avant d’être assassiné, avait appelé les dirigeants africains à ne plus payer leur «dette», au vu du pillage dont le continent africain fait l’objet. Ou encore à Patrice Lumumba, assassiné lui aussi après seulement quelques mois à la tête du premier gouvernement congolais post-indépendance: «Alexis Tsipras n’est pas congolais, il est grec, il est le Lumumba grec», déclare Mbelu Babanya Kabudi sur le site web d’un parti congolais d’opposition. «Jusqu’où ira-t-il pour servir son pays? L’avenir nous le dira», conclut-il, après avoir longuement comparé les deux hommes.
Autant de commentaires qui ont fleuri dans les médias africains, avant qu’Alexis Tsipras ne soit remis à l’ordre de la plus brutale manière. Reste que ce qui est totalement fascinant, c’est que, malgré la déglingue durable dans laquelle de nombreux pays sont plongés depuis des décennies, après avoir appliqué à la lettre les mesures imposées par le FMI, ce sont exactement les mêmes recettes qui continuent à être exigées aujourd’hui de la Grèce: vente à la découpe des biens publics, baisse des salaires des fonctionnaires et des retraites, coupe dans les dépenses sociales et la santé, privatisation de l’eau, de l’électricité, des ports et des aéroports, des îles, des plages, et de tout ce qui peut l’être, ronde des prêts servant uniquement au remboursement de la dette… Un air de déjà-vu, qui préfigure la «tiers-mondisation » de l’Europe? Car après la Grèce, qui?
*Catherine Morand et une journaliste avec Swissaid (l’opinion exprimée ne reflète pas nécessairement celle de Swissaid). Cet article a paru d’abord dans Le Courrier, quotidien à Genève.