Toute la vérité! (Tommaso Di Francesco, 5 février 2016)

Giulio Regeni, étudiant italien, a-t-il été torturé à mort par la police égyptienne?

Il craignait pour sa sécurité. Telle est la vérité qui se dégage pour nous et que nous voulons faire connaître sur la mort violente de Giulio Regeni au Caire, face à trop de réticences officieuses et officielles et aux graves contradictions entre les premières enquêtes menées par un avocat égyptien, confirmant la torture indicible, et les démentis du ministère de l’intérieur du Caire.

Et en face d’un gouvernement italien qui exige maintenant la « vérité », mais que l’on trouve au moins contredite par le voyage d’affaires d’une délégation d’industriels conduite par la ministre Guidi au Caire, qui a tissé des relations économiques en toute tranquillité avec un régime militaire responsable d’un coup D’État défini par l’écrivain Orhan Pamuk comme «égal à celui de Pinochet.»

Nous disons cela parce que dans le début de janvier, après avoir reçu un article – que nous publions aujourd’hui avec sa signature, convaincu d’accomplir sa propre volonté – sur la reprise d’initiative des syndicats égyptiens, Giulio Regeni avait insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de signer [ses articles] avec un pseudonyme. Par cette insistance répétée plusieurs fois dans son e-mail, nous avions compris qu’il était très préoccupé, d’autant plus que ses autres articles étaient déjà sortis à chaque fois avec un pseudonyme différent.

Nous n’avons pas pour habitude au Manifesto de spéculer sur la vie des autres ou à voir des complots partout. Nous sommes juste un journal en marge qui a subi des attentats, des enlèvements comme celui de Giuliana Sgrena, des meurtres comme celui de Vittorio Arrigoni.

Mais à présent il faut écarter toutes les interprétations tout simplement incroyables, officielles comme celles dans certains journaux, accréditant la version même des services de renseignement égyptiens qui nient naturellement toute responsabilité quant à la détention possible ou l’arrestation de Giulio, disant se concentrer sur un pur acte criminel, voir allant jusqu’à parler d’un simple accident de voiture.

Quelques avertissements sont donc nécessaires. Giulio Regeni, en contact avec notre journal et avec notre travail d’information sur le Moyen-Orient comme de nombreux autres collaborateurs, n’a pas disparu lors d’un jour de « vacances sur le Nil », mais le 25 janvier, jour du cinquième anniversaire du soulèvement contre Moubarak sur la place Tahrir en 2011, dans un intense climat de mobilisation de la jeunesse, d’initiatives sociales et politiques non seulement en mémoire [de ce soulèvement] mais inévitablement contre le coup de force du présent régime militaire Al Sisi.

Comme les années précédentes, la répression de ces mobilisations et les raids menés par la police ont conduit à des centaines d’arrestations préventives.

Giulio Regeni était ni violent, ni un ennemi de l’Égypte. Au contraire, il a aimé ce pays. Il était un expert dans les luttes sociales – en particulier des syndicats égyptiens – et étudiant en doctorat à Cambridge, traitant de la crise des modèles économiques du Moyen-Orient. Il est mort, à notre connaissance à ce jour et selon l’accusation égyptienne, après avoir subi des violences sans précédent.

Il est vraiment difficile d’imaginer la pègre du Caire s’acharnant sans raison et sans intérêt quelconque sur un étranger. Tout aussi incroyable – mais vous verrez que nous arriverons à cette échappatoire – de faire passer cette mort comme un crime commis par l’État islamique, qui comme on le sait maintenant, use de beaucoup d’autres modes d’exécution théâtrale.

Permettez-moi d’être clair. Nous ne savons pas qui sont vraiment ses assassins et qui peut avoir commis ce crime. Nous ne pouvons que soupçonner et témoigner.

Mais nous demandons la vérité, toute la vérité au gouvernement égyptien, au ministre des Affaires étrangères Paolo Gentiloni et au Président du Conseil Matteo Renzi.

Nous le devons, face de la douleur des parents et à la jeune vie si martyrisée de Giulio Regeni.
5 février 2016 – Il Manifesto – Vous pouvez consulter cet article à :
http://ilmanifesto.info/tutta-la-verita/