Syndicalisme dans le secteur informel: facteur de développement (Dan Gallin, 13 décembre 2005)

Conférence donnée par Dan Gallin, directeur du Global Labour Institute, dans le cadre du séminaire Réformes économiques et développement durable en Afrique, Institut Universitaire d’Etudes du Développement, Genève.
Les Etats, et les organisations inter-gouvernementales, admettent aujourd’hui qu’une politique de développement, pour avoir quelque chance de succès, doit impliquer la société civile.

Ainsi l’Union européenne, dans son papier d’octobre dernier sur sa nouvelle stratégie vis-à-vis de l’Afrique (1), déclare que le partenariat envisagé entre les deux continents n’aura du succès que s’il va au-delà d’une interaction formelle politique et économique. Ce qui est proposé, au-delà de cette interaction formelle, c’est un partenariat entre différentes institutions, mouvements et organisations, entre autres les syndicats et les réseaux de la société civile.

D’autres aussi font référence à la société civile comme facteur de développement, ce qui peut traduire un souci d’impliquer et de co-opter l’ensemble de la société dans certaines politiques de développement, aussi bien que dans certains cas une saine méfiance vis-à-vis de la capacité des gouvernements de faire aboutir des politiques de développement dans l’intérêt général de la société. Dans ce cas, on appelle la société civile à exercer une fonction de contrôle.

Arrêtons-nous un instant sur le concept de la société civile. Il a une histoire longue et compliquée, mais dans son acceptation actuelle il désigne l’ensemble des associations volontaires que les citoyens se donnent pour faire avancer leurs intérêts, ne dépendant ni de l’Etat, ni du patronat, ni des partis politiques – encore que des passerelles existent forcément. En fait, il s’agit du peuple organisé, sous différentes formes, mais des formes libres et indépendantes. Cette liberté et indépendance est la condition d’une action efficace, qu’il s’agisse des syndicats, des femmes, des défenseurs des droits de l’homme, de l’environnement ou encore de communautés locales, pour défendre des intérêts qui se heurtent à des obstacles mis en place par d’autres intérêts qui leur sont contraires.

Nous sommes donc dans une situation de conflit entre intérêts opposés, de rapports de force. Il y a un enjeu de pouvoir. Ceci, qu’il s’agisse de l’Afrique ou de n’importe quelle autre région du monde.
Parmi les forces en présence dans la société civile, le mouvement syndical est certainement celui qui a les objectifs les plus ambitieux et les plus universels. Depuis ses origines dans l’Europe du 19ème siècle, ensuite dans le monde entier, son programme, c’est la justice sociale, un vaste programme qui implique un changement de société, parce que la justice, comme la liberté, ne saurait être celle de quelques-uns: si elle est réelle, elle est celle de tous.

C’est aussi dans le cadre d’une lutte pour la justice sociale au sens large du terme que peuvent aboutir les luttes pour l’égalité, pour l’Etat de droit, pour la démocratie, pour la sauvegarde de l’environnement naturel. Dans ce sens, le mouvement syndical n’est pas un “groupe de pression” parmi d’autres: il est, du moins en puissance, le point de ralliement et le mouvement d’autodéfense de la société contre toute forme d’oppression et d’exploitation et contre les menaces à sa survie.

Ce que je viens de vous décrire, c’est la vision: une vision politique, idéologique et, n’ayons pas peur du terme, une vision morale. C’est grâce à elle que le mouvement syndical existe et qu’il a survécu à des répressions, souvent dans leurs formes les plus dures, partout dans le monde.

Mais qu’en est-il de sa réalité actuelle? Quel est le rapport de cette réalité à la vision?

En Afrique (sub-saharienne et à l’exception de l’Afrique du Sud), le mouvement syndical a souvent été critiqué pour ne représenter qu’une petite partie du peuple: une élite de fonctionnaires du secteur public et des travailleurs salariés de l’industrie, des mines, des transports, des plantations, alors que la grande majorité du peuple travailleur, c’est à dire de la classe ouvrière réelle, vivait de l’agriculture de subsistance ou des activités du secteur informel.

Cela a certainement été le cas au moment de la décolonisation et dans les décennies qui ont suivi, jusqu’à tout récemment. Si le mouvement syndical, représentant seulement les travailleurs salariés, a néanmoins pu jouer un rôle politique important, et disproportionné par rapport à sa représentativité, c’est parce qu’il constituait partout l’infrastructure indispensable des mouvements de libération. Par la suite, dans un certain nombre d’Etats, une fois la décolonisation acquise, le mouvement syndical a été sommé de choisir entre la soumission au gouvernement contrôlé par le parti unique ou la répression. Dans un cas comme dans l’autre, cela signifiait qu’il était dans l’incapacité de jouer son rôle.

Dans d’autres Etats, où une forme suffisante de démocratie s’était maintenue, ou avait été rétablie après une période de dictature, le mouvement syndical restait politiquement influent.

Le grand changement, et le défi existentiel, arrive avec la globalisation à partir de la fin des années 1970. La globalisation, nous les savons, a un aspect, si l’on veut, technique, essentiellement les nouvelles technologies de communication et des transports, et un aspect politique, dont les éléments principaux sont notamment la déréglementation, la privatisation du secteur public (production et services), et le libre commerce.

Ces éléments politiques ont été mis en application sous la forme des programmes d’ajustement structurel du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, souvent imposés à des pays endettés en Afrique, en Amérique latine et en Asie comme condition pour l’obtention de nouveaux crédits. Ils ont eu pour conséquence le démantèlement du secteur public et, dans beaucoup de cas, l’arrêt de la production industrielle pour cause de compétitivité jugée insuffisante.

La deuxième conséquence, découlant de la première, a été le formidable développement de l’économie informelle et du travail informel.

Qu’est-ce que le travail informel? Il s’agit de tout travail non réglementé et non protégé par des lois ou par des conventions collectives. Il existe dans toutes les branches d’activités, dans la production, le commerce et les services sous différentes formes, notamment: travail à domicile, vente dans les rues et marchés, emploi domestique, travail occasionnel (par exemple dans la construction et l’agriculture), agriculture de subsistance ou métayage, collecte des produits de la forêt, transports personnels (cyclo-pousse), artisanat, petites entreprises familiales. Il s’agit dans la majorité de cas de travailleurs peu qualifiés, à revenus très bas, dans des activités de survie, en grande partie auto-employés.

Ces formes d’activité ne sont pas nouvelles. Dans la plupart des pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes elles existent depuis les débuts du capitalisme colonial. Ce qui est nouveau, c’est leur croissance sous l’impact des politiques néo-libérales. Encore dans les années 1970 on pensait que le secteur informel était une survivance archaïque et qu’il serait graduellement absorbé dans le secteur dit “moderne” par un processus de “développement”. En fait, c’est tout le contraire qui s’est produit. C’est le secteur informel qui s’est développé, et continue à croître, non seulement dans les pays dits en développement mais aussi dans les pays industrialisés du Nord: en Europe occidentale, où il est estimé à environ 15% en moyenne de la population active, (beaucoup plus dans les pays de l’ancien bloc soviétique), en Amérique du Nord et au Japon.

En Afrique sub-saharienne, 72% de la population active urbaine travaille dans l’économie informelle (78% sans l’Afrique du Sud), et 90% de tous les emplois nouvellement créés le sont dans l’économie informelle. Les chiffres pour les autres régions du Sud global sont: 48% pour l’Afrique du Nord, 51% pour l’Amérique latine et 65% pour l’Asie (2), mais en Inde, ce ne sont pas moins de 97% de la population active qui travaille dans le secteur informel (83% sans l’agriculture).

Les femmes sont fortement sur-représentées dans la plupart des activités informelles, surtout dans le travail à domicile, la vente dans les lieux publics, l’emploi domestique, mais aussi dans d’autres secteurs: comme manœuvres à la journée sur des chantiers de construction, dans l’agriculture, dans la collecte et la première transformation de produits forestiers, même dans les transports personnels: à La Havane, les transports personnels (en motocycle) sont assurés entièrement par des femmes.

Prenons le cas du Ghana (3). Entre 1960 et 1991 l’emploi dans l’économie formelle (c’est à dire couvert par la législation du travail et souvent par des conventions collectives, permanent et régulièrement salarié) est tombé (en milliers) de 333 à 186, non seulement dans le secteur public mais aussi dans le secteur formel privé (de 149 à 31). Dans la même période, on constatait une augmentation de la population active, avec près de 100,000 personnes sortant chaque année des établissements d’éducation et cherchant du travail. En 1998, l’emploi salarié était estimé à 16,1% de la main d’œuvre du Ghana tandis que le reste de la population exerçait une activité indépendante, surtout dans le secteur informel. Selon une autre estimation, le secteur informel du Ghana occupait en 1998 80% de la main d’œuvre du pays. (4). Adu-Amankwah, secrétaire général adjoint du Ghana TUC, auteur de l’étude, conclut: “Les licenciements de masse, qui n’ont pu être compensés par l’offre d’emplois de substitution, ont précipité d’innombrables travailleurs dans l’orbite du secteur informel.”

Le Ghana est aussi parmi les pays où le mouvement syndical a commencé très tôt à s’engager dans l’organisation des travailleurs informels, fondamentalement pour deux raisons: en premier lieu, par une prise de conscience de la situation de ces travailleurs, exclus des mécanismes du pouvoir politique et sans défense sociale. Je cite encore Adu-Amankwah: ” La population active du secteur informel ghanéen, quelle que soit sa force numérique par rapport à la totalité de la main d’œuvre, n’est pas adéquatement représentée dans les processus politiques. Elle est d’ailleurs totalement absente des allées du pouvoir et du processus de décision. Les travailleurs du secteur informel ne disposent pas non plus des moyens et des possibilités requis pour influencer de manière systématique les situations et les décisions qui les concernent; ils n’ont pas non plus accès aux services nécessaires pour fonctionner de manière efficace et rentable.” Il était donc du devoir du mouvement syndical de les protéger.

La deuxième raison c’est que l’érosion de sa base dans le secteur formel n’allait plus permettre au mouvement syndical, à terme, de défendre même les intérêts des membres qui lui restaient, et que pour maintenir son efficacité il fallait suivre ses membres là où ils étaient partis, donc dans le secteur informel.

Depuis la fin des années 1970, les syndicats ghanéens ont systématiquement commencé à recruter dans le secteur informel. L’un des affiliés du Congrès des syndicats (Ghana TUC) est le Syndicat des transports des routiers privés (Ghana Private Road Transport Union) un syndicat du secteur informel dont les membres sont des chauffeurs salariés et des chauffeurs propriétaires et détenteurs de véhicules. Avec le soutien du gouvernement, le syndicat a été en mesure d’obtenir des facilités de crédit permettant à ses membres d’acquérir des véhicules.

Le syndicat général des travailleurs agricoles (GAWU) a commencé à organiser sa division de travailleurs ruraux (Rural Workers Organisation Division) dès 1979. En 1998, la RWOD avait 12,000 membres, dont 60% de femmes.

Le GAWU aide ses adhérents, en particulier les femmes, en leur offrant des crédits renouvelables, et leur facilite l’accès à d’autres formes de crédit institutionnel. Il aide également ses adhérents à se procurer des outils, des engrais ainsi que des articles essentiels tels que des lanternes et du pétrole. Le syndicat a également procuré des machines à coudre à un groupe de femmes adhérentes pour leur permettre de fabriquer des vêtements pour leurs familles. Il a construit des bâtiments destinés au stockage des produits et à des salles de classe pour ses programmes d’alphabétisation. Il offre également à ses adhérents une éducation de base et des cours de formation sur les sujets suivants: apiculture, transformation des produits alimentaires, comptabilité et administration financière, techniques de labour propres à réduire l’érosion des sols, entretien des machines, règles d’hygiène et de sécurité dans l’utilisation de produits chimiques, et pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.
Un responsable syndical remarque que “les travailleurs ruraux membres du syndicat peuvent maintenant se mobiliser pour faire valoir leurs droits au sein de leur communauté et unir leurs efforts dans le cadre de projets d’action autonomes.” (3)

Le Syndicat des travailleurs du bois et de la construction (TWU) a commencé à organiser le secteur informel en 1988 avec trois objectifs principaux: (1) promouvoir les intérêts de tous les travailleurs indépendants et parvenir à l’unité d’action sur toutes les questions les concernant; (2) canaliser leur activité par l’éducation et (3) obtenir, aux niveaux national et international, la reconnaissance de leur rôle économique dans le développement national.

Le premier groupe d’indépendants visé était celui des travailleurs de la forêt: utilisateurs de tronçonneuses électriques, coupeurs de bois de chauffe, charbonniers et tailleurs de canoës. Le TWU a créé l’Association nationale des scieurs (National Sawyers’ Association – NSA) pour les regrouper. Depuis 1991, la NSA fonctionne comme organisation indépendante affiliée au TWU. Elle avait 12,000 membres en 1998.

Le syndicat offre une formation à ses membres pour leur faciliter l’inscription de leur entreprise au registre du commerce et de la déclarer à l’Office national des revenus, auprès des collectivités locales et au Ministère de la Foresterie. Ces inscriptions sont nécessaires pour obtenir un permis d’abattage des arbres.

Les artisans du bois sont également organisés par le TWU dans l’Association des petites entreprises de la charpente. Ce sont les utilisateurs des produits issus de l’activité des scieurs: charpentiers, menuisiers, ébénistes. Le nombre de ces artisans est estimé à 1,5 millions. Le syndicat, à la fin des années 1990, en avait recruté 30,000, essentiellement dans les régions de Kumasi et Accra.

L’Association des propriétaires de machines de transformation du bois est un troisième groupe de travailleurs indépendants recrutés par le TWU. Son activité est concentrée dans les six régions forestières du Ghana. Le nombre de travailleurs dans ce secteur est estimé à 6,000; à la fin des années 1990, le TWU en avait organisé 3,000.

Depuis que le TWU a syndiqué les travailleurs du secteur informel, toute institution souhaitant traiter avec ces travailleurs doit passer par le syndicat: par exemple, l’Office de développement de l’exportation de bois, le Ministère de l’aménagement du territoire et de la foresterie, et le Parlement. Le TWU négocie les taux d’imposition de ses adhérents avec les administrations régionales et les services fiscaux. Il négocie également avec les administrations régionales l’octroi de terrains où les charpentiers peuvent s’installer.

Un autre syndicat ghanéen qui organise des travailleurs du secteur informel est le Syndicat des travailleurs du commerce et de l’industrie (ICU). Le ICU a notamment organisé l’Association des travailleurs de la coiffure et de l’esthétique (Hairdressers and Beauticians Association – GHABA), avec 4000 adhérents concentrés autour de Accra, Kumasi et Takoradi.

Le Ghana TUC a décidé, il y a déjà quelques années, de coordonner les activités de ses organisations affiliées dans le secteur informel (un secrétaire à plein temps est chargé de cette coordination) et il a mis en place une stratégie d’ensemble dont l’un des éléments est celui-ci:

“Mettre en évidence la relation entre la syndicalisation du secteur informel et le développement national. Cela sous-entend d’accorder une attention particulière à l’agriculture et à la production manufacturière. On pourrait ainsi démontrer comment la syndicalisation des travailleurs peut contribuer à la croissance de ces secteurs. Il s’agirait alors de mettre au point une politique d’intervention dans le cadre de la stratégie du développement national, reposant sur le soutien de l’Etat et d’autres institutions en vue de promouvoir la croissance des entreprises, la protection sociale des travailleurs et l’application généralisée des normes du travail.” (3)

Si les syndicats du Ghana ont été en pointe, en Afrique, sur l’organisation du secteur informel, ils ne sont pas restés les seuls à le prendre en charge. En octobre 1997, la Conférence panafricaine sur la participation démocratique, organisée par le Programme pour le développement de la participation des travailleurs africains (APADEP)à Arusha, Tanzanie, a affirmé qu’il était nécessaire d’organiser les travailleurs du secteur informel. Après avoir fait l’inventaire de la situation des travailleurs et des syndicats africains face aux programmes d’ajustement structurel et face aux tendances actuelles de la mondialisation, elle a formulé des recommandations aux syndicats, dont deux sont particulièrement importantes dans le contexte de cette discussion:

· améliorer la démocratie interne et la représentation des femmes dans les structures syndicales;
· étendre le domaine de la syndicalisation pour englober le secteur informel.

Ce n’est pas un hasard si ces deux aspects font partie de la même recommandation. En effet, la démocratie à l’intérieur du syndicat, la féminisation du mouvement syndical et l’organisation des travailleurs informels, qui sont en fait surtout des travailleuses, sont des questions qui sont étroitement liées.

Il faut relever que dans de nombreux pays les travailleurs et les travailleuses du secteur informel s’organisent eux-mêmes – et elles-mêmes – sans y être poussé par une organisation basée sur le secteur formel. En Inde, plusieurs organisations indépendantes se sont constituées. La principale, et la plus connue, est l’Association des femmes auto-employées (Self Employed Women’s Association – SEWA) qui a maintenant près de 700,000 membres, et qui a servi de modèle à d’autres organisations du même type, notamment en Afrique du Sud.

Dans plusieurs pays d’Afrique occidentale, des associations de vendeuses de marché, bien organisées et politiquement puissantes, se sont constituées indépendamment et ce n’est que récemment qu’elles sont en discussion avec les centrales syndicales pour former des alliances, y compris sous forme d’affiliation.
A l’heure actuelle, on peut dire qu’une majorité des centrales syndicales africaines sont activement engagées dans l’organisation des travailleurs et des travailleuses de l’économie informelle. C’est le cas de la centrale syndicale du Nigeria (Nigeria Labour Congress – NLC), déjà depuis plusieurs années. En Ouganda, le syndicat des services publics, qui avait chuté de 108,000 à 700 membres à la suite des privatisations, s’est réinventé comme un syndicat de travailleurs informels (essentiellement de vendeurs de rue et de marchés) avec 17,000 membres en 1999.

Dans huit pays d’Afrique occidentale (Benin, Burkina Faso, Cote d’Ivoire, Guinée. Mali, Niger, Sénégal et Togo) un programme de syndicalisation du secteur informel est en route, prenant pied en partie sur des organisations déjà existantes, dont le but est de créer une fédération unique affiliée à toutes les centrales nationales. Il est géré par UNI, l’Internationale du commerce, et StreetNet, le réseau international des organisations de vendeurs et vendeuses de rue, avec l’appui de l’OIT et de DANIDA, le programme danois d’aide au développement.

En Zambie la centrale syndicale ZCTU a créé une association d’éducation des travailleurs (Zambia Workers’ Education Association – ZWEA) en 1993, avec l’appui de la Workers’ Education Association d’Angleterre. A partir de 1991, la ZWEA a mis en place un programme de séminaires de formation pour les travailleurs du secteur informel. Cette activité, réunissant régulièrement les membres d’organisations locales, a abouti à la création, en 2003, d’une fédération nationale: Alliance of Zambian Informal Economy Associations (AZIEA) qui a maintenant plus d’un million de membres, alors que le ZCTU, dont les membres sont les travailleurs du secteur formel, n’en a que 250,000. L’AZIEA est une organisation associée du ZCTU.

Il y a une dimension politique évidente dans ces efforts. Pat Horn, la coordinatrice de StreetNet, dans un article récent (5) écrivant dans un contexte sud-africain sur le NEPAD (New Partnership for Africa’s Development), fait valoir que les mêmes critiques que l’on peut adresser au NEPAD (manque de transparence, accord entériné au sommet des gouvernements sans consultation de la société civile) pourrait être adressé au mouvement syndical tant qu’il ne prend pas en compte les besoins et les revendications du secteur informel. Encore un effort, camarades, écrit Pat Horn: si vous voulez être pris au sérieux dans votre opposition, il faut au moins être sûr au nom de qui vous parlez et qui vous représentez.

Je vais essayer de conclure, non pas – bien évidemment – pour devancer la discussion, mais pour vous donner mon interprétation de la signification des faits que je viens de décrire.

Le syndicalisme dans l’économie informelle a des conséquences multiples. L’une d’entre elles, c’est que la classe ouvrière majoritairement informelle et sans influence tant que le mouvement syndical restait circonscrit dans ses bases traditionnelles, très diminuées, se donne de nouveau les moyens d’exercer un pouvoir politique par l’organisation. Une organisation, cela sert pour résister et pour lutter: pour se soumettre, les travailleurs n’ont pas besoin d’organisation. La grande masse des travailleurs africains vont ainsi pouvoir peser davantage sur les politiques des gouvernements et se mêler de ce qui les regarde, notamment de la discussion sur les modèles de développement, sur ce qui pourrait être une politique de développement au service du peuple plutôt qu’au service des élites et du capital transnational et où sont les espaces de liberté d’une politique nationale dans le contexte de la globalisation.

Une autre conséquence est le changement que l’effort d’organisation dans le secteur informel implique pour le mouvement syndical lui-même. Dans les cas que je connais le mieux, ceux du Ghana et de la Zambie, il est évident qu’il n’aurait pas été possible d’organiser avec succès dans le secteur informel sans de profonds changements dans le mouvement syndical. Il s’agit pour l’essentiel de démocratiser ses structures, de l’ouvrir largement aux femmes, de se débarrasser d’une culture bureaucratique et autoritaire là où elle existe. Je pense qu’il en est de même partout où la même expérience a été faite. “Changer pour gagner” (Change to Win) est le nom d’une centrale syndicale américaine fondée cette année, essentiellement pour organiser les friches syndicales dans le secteur des services. Cela pourrait devenir la devise du syndicalisme africain.

Je vous remercie de votre attention.


Notes
(1) Commission des Communautés Européennes: Communication de la Commission au Conseil, au Parlement Européen et au Comité Economique et Social Européen, La stratégie de l’UE pour l’Afrique: vers un pacte euro-africain pour accélérer le développement de l’Afrique (SEC2005:1255), Bruxelles, 12 octobre 2005, 48 p.
(2) Women and Men in the Informal Economy – a Statistical Picture, BIT, 2002.
(3) Les Syndicats dans le Secteur Non-Structuré, par Kwasi Adu-Amankwah, Secrétaire général adjoint du Congrès des Syndicats du Ghana (GTUC), dans: Education ouvrière No. 116 (No. 3, 1999), BIT, Genève.
(4) T. Hormeku, The Transformation and Development of the Informal Sector and the Role of Trade Unions, communication présentée à un séminaire OUSA/BIT/FSE sur “Trade Unions and the Informal Sector”, Le Caire, 4-6 mai 1998.
(5) Pat Horn, Survival Strategies: What Lessons for Engaging NEPAD? Organising the Informal Sector: Lessons for Labour, août 2002.